1954-1962 : Guerre d'Algérie
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Commémoration du 53ème anniversaire du déclenchement de la guerre d'indépendance

Depuis 1962, bien des générations, par un enseignement dévoyé d’une histoire tronquée, par le manque de publications, par l’absence de témoignages et, surtout, par «un matraquage» s’apparentant à de «l’intox», ils ne savent plus qui croire, quoi comprendre et encore moins démêler le vrai du faux...
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USA - Afrique du nord : enjeux sahariens et guerre énergetique...

Sans remonter à l’époque «barbaresque» et la capture de vaisseaux US par les «pirates» algérois… Nous allons voir à travers quelques textes que les USA, dès la seconde guerre mondiale, s’intéressaient à cette région du monde… lire la suite en format PDF (lecteur PDF requis)

Monographie de l'Aurès..... de 1904

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(Remerciements à SOUANEF Toufik qui nous a fourni de document)

Germaine Tillion et ses vies algériennes.

Par : Djemaâ DJOGHLAL
Article intégral - Publication partielle dans : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=50151&archive_date=2007-06-02

La dame « aux trois vies » de ce siècle, peut aussi se targuer d’avoir vécu plusieurs vies algériennes au cours de cette période riche en changements politiques, techniques, sociaux et culturels, auxquels elle participa directement et indirectement.
Ainsi, au lieu d’utiliser la formule habituelle de l’interview direct pour lui souhaiter un anniversaire de centenaire alerte (née le 30 mai 1907 à Allègre, Haute-Loire), parcourons quelques uns de ses ouvrages qui la font parler ou qui parlent d’elle et de ses parcours ... lire la suite



Germaine Tillion. Ethnologue et militante anticolonialiste
Il était une fois l’ethnographie...


Profondément humaniste, Germaine Tillion a milité pour les droits de l’homme aux côtés de David Rousset, sociologue du nazisme et du totalitarisme, et s’est opposée à la torture en Algérie. Elle est signataire d’un appel à la condamnation de la torture durant la guerre d’Algérie (appel signé par douze personnalités, à l’initiative de L’Humanité, le 31 octobre 2000).
La vie de Germaine Tillion, née en 1907 dans un village breton, a été marquée par trois grandes périodes principales : l’Aurès des années 1930, la Résistance et la Déportation ; à nouveau l’Algérie au moment de la guerre de Libération nationale. L’ethnologue française, spécialiste des Aurès, auteur du célèbre Le Harem et les cousins (1966 aux éditions Le Seuil, épuisé) a publié aux éditions Le Seuil, en janvier 2000, Il était une fois l’ethnographie. Pour l’écrire, elle utilise ses brouillons et ses souvenirs. Il était une fois l’éthnographie, c’est l’histoire d’une rencontre, celle de Germaine Tillion avec l’Aurès et les Chaouias.

Germaine Tillion découvre l’Aurès en 1934

L’ethnologue découvre les Aurès en 1934. Elle avait 25 ans. Etudiante de Marcel Mauss à l’institut d’ethnologie, elle effectue dans l’Aurès six ans de mission. De ce séjour, elle rapporte des notes et deux thèses de doctorat qui ont disparu pendant sa déportation à Ravensbrück en 1943. Pour Germaine Tillion, l’Aurès, « c’est l’histoire d’une amitié avec le peuple algérien. J’ai été reçue partout comme quelqu’un de la famille. Dans ce livre, je reprends tout ce que j’avais écrit de scientifique sur l’Aurès. J’avais recensé les parentés de tous les groupes de l’Aurès entre eux, les farkas. Cela permettait de restituer les différents occupants de l’Aurès. J’avais noté tout ce qui était considéré par la population comme essentiel. Ces documents représentaient mes thèses de doctorat. » (Interview qu’elle nous avait accordée fin 1999). « Je n’ai pas connu une Algérie, j’ai toujours connu des Algérie. C’était le cas en 1934. Il y avait déjà plusieurs Algérie. Les Français d’Algérie, c’était une Algérie. C’étaient des gens qui étaient aussi des migrants, comme les migrants algériens qui sont actuellement en France. J’ai considéré qu’ils avaient, au fond, construit quelque chose en Algérie. Et ce quelque chose était valable. C’était leur existence. C’étaient des pieds-noirs comme on dit, comme on ne disait pas encore en 1934. J’ai entendu ce mot pour la première fois après 1954. » (interview op cit). Et d’ajouter : « Je suis persuadée que les migrations massives d’Algériens en France ont été un élément déclencheur de la Révolution en Algérie. » (interview op cit). Germaine Tillion entre dans la résistance dès juin 1940. Avec, entre autres, Pierre Brossolette, elle crée et anime le réseau du musée de l’Homme qui travaille à l’évasion de prisonniers et au renseignement. Arrêtée en 1942, elle est déportée en camp de concentration en 1943. Sa mère est morte au camp de Ravensbrück. Sa grand-mère, elle-même, a été arrêtée, en 1942, à quatre-vingt-onze ans. De sa libération du camp de Ravensbrück en 1945 à 1954, elle travaille à recueillir des témoignages sur les crimes nazis. En 2000, Germaine Tillion reçoit des mains de Geneviève Antonioz de Gaulle, présidente de l’Association des déportées et internées de la Résistance, la grande croix de la Légion d’honneur pour ses positions humanistes et les combats justes qu’elle a menés. Germaine Tillion revient en Algérie en 1954, crée les centres sociaux et rentre en France en 1956.

Création des centres sociaux

L’objectif des centres sociaux est de « permettre à un pays dans son ensemble, et grâce à sa jeunesse, de rattraper les retards techniques qu’on appelle "sous-développement". Dans un langage plus simple cela veut dire : vivre », écrivait Germaine Tillion dans Le Monde le 18 mars 1962 dans un texte intitulé « La bêtise qui froidement assassine », trois jours après l’assassinat par l’OAS de Mouloud Feraoun et de ses cinq collègues enseignants, responsables de centres sociaux à Alger. « Je voulais augmenter les ressources de chaque famille et, essentiellement, donner aux enfants algériens, filles et garçons, une instruction équivalente à celle que recevaient les enfants français. Dans les centres sociaux installés à la campagne, il y avait aussi un spécialiste de l’agriculture, parce que mon idée n’était pas d’envoyer tout le monde en ville, mais de faire vivre mieux les gens à la campagne. Et s’il n’y a pas moyen d’y vivre, alors, on doit pouvoir vivre en ville. Mais cela veut dire qu’il faut valoriser la campagne », nous disait-elle (interview, op cit). Dans les dernières pages de L’Afrique bascule vers l’avenir, Germaine Tillion écrit que « l’on peut déjà prévoir que la barque algérienne tiendra mal la mer ». L’ethnologue considère que le bien-être des populations, particulièrement des femmes, passe par l’éducation, par une répartition équilibrée des ressources. « On risque le pire si l’accaparement des ressources est entièrement le fait de quelques-uns. » Elle écrit : « Je découvris alors (à Alger, ndlr) les rouages d’un colonialisme vivace, obstiné, entreprenant et attaché à des intérêts contraires à ceux de la majorité, c’est-à-dire du bien public. » Elle dénonce la « minorité de colons qui voulait tout accaparer », qui « avait une main-d’œuvre qu’elle exploitait et qu’elle voulait garder », qui « avait des privilèges, de l’argent et des relais qui, à Paris, exerçaient des pressions sur les députés. » « La grande erreur de l’Etat français a été de ne pas abolir les privilèges et donner les mêmes droits à tous. »

La première à utiliser le terme de clochardisation

Germaine Tillion est la première à utiliser le terme de clochardisation. Dans La Traversée du mal, elle explique que « la clochardisation, c’est le passage sans armure de la condition paysanne (c’est-à-dire naturelle) à la condition citadine ». Anticolonialiste, Germaine Tillion a inlassablement lutté pour la paix entre l’Algérie et la France. Elle revient en Algérie en juin 1957 avec une commission internationale d’enquête sur les lieux de détention français en Algérie. En juillet 1957, en pleine Bataille d’Alger, elle favorise le premier contact entre les dirigeants du FLN et le gouvernement français (qu’elle raconte dans Les Ennemis complémentaires, et ensuite dans ses entretiens avec Jean Lacouture : La Traversée du Mal. « En 1957, j’ai essayé que l’on arrête la guerre, qu’on ait une négociation et que l’Algérie décide librement de son sort. C’est Geneviève Antonioz de Gaulle qui me servait d’intermédiaire avec son oncle (le général de Gaulle, ndlr), qui lui portait mes lettres », nous avait dit Germaine Tillion (interview op cit). « Lorsque la torture s’est généralisée, j’ai été alertée par mes amis algériens. J’ai alors pris contact avec mes camarades de déportation. » (interview, op cit). « J’avais rencontré Yacef Saâdi et ses camarades à leur demande. Quand ils ont été arrêtés, j’ai fait une déposition. Ils ont eu la vie sauve. Je m’étais attachée à sauver la vie des Algériens » (interview op cit). Pour ce faire, elle faisait intervenir des gens connus, des intellectuels. « C’est comme cela que j’avais tous les numéros de téléphone de Camus pour lui signaler les Algériens en danger de mort », nous disait-elle encore. Elle est intervenue auprès d’Edmond Michelet, ministre de la Justice (qu’elle avait connu dans les camps de déportation nazis), pour qu’il mette fin à la peine de mort contre les militants nationalistes pendant la guerre d’Algérie. Germaine Tillion fonde en 1963, aux côtés d’Edmond Michelet, l’association Amitié France-Algérie, que préside actuellement Bernard Stasi.

PARCOURS

Germaine Tillion a publié Ravensbrück (1946), L’Algérie en 1957 (1957), Première résistance en zone occupée. Du côté du réseau du musée de l’Homme (1958), L’Afrique bascule vers l’avenir, Les Ennemis complémentaires (1960), Le Harem et les cousins (1966), La Traversée du mal (1997), Il était une fois l’ethnographie (2000). Jean Lacouture lui consacre une biographie Le témoignage est un combat.


Ces résistantes anonymes de la Guerre d’Algérie en France

In http://www.quotidien-oran.com du 1/11/2004
Par : Djemâa Djoghlal

Aujourd’hui, des nostalgiques de «l’Algérie de papa», en Algérie et en France, s’autorisent des lectures malveillantes voire révisionnistes sur un passé colonial qui a tant de mal à passer. Ainsi, la population colonisée, dominée, de statut social, politique et juridique différent donc de race différente, vivant entre des frontières séparant les citoyens de première zone et les «indigènes indésirables», est qualifiée ainsi que son combat pour sa dignité de «bourreau» par celles et ceux dont la mémoire et la conscience ne sont pas en paix.
Alors que celles et ceux qui en appellent journellement et médiatiquement aux «devoirs de mémoire», prennent au sérieux leur propre rhétorique qui décrit souvent leur parcours personnel ou familial au détriment d’une mémoire d’un peuple qui a subi 132 ans de nuit coloniale et 7 ans de Guerre de Libération.
A travers l’exemple des écrits sur la Résistance française, où la connaissance historique dépend de chaque témoignage, document personnel et archives publiques qui viennent enrichir ou démentir ce qui était jugé vérité la veille, la vérité sur ce conflit inégal ne peut jaillir puisque la législation française rend inaccessibles certaines archives importantes de la Guerre d’indépendance algérienne.
Sans aucune prétention historique, vu les insuffisances des recherches historiques sur l’émigration féminine en Algérie et immigrée en France, nous relaterons quelques faits connus du grand public. Mais comment les transcrire sans les déformer sachant que la mémoire est sélective, comment relater, en quelques lignes, des millions de comportements et de sentiments qui se sont déroulés il y a 50 ans sans tomber dans le piège des discours lénifiants ou glorifiant ?
Comment dévoiler des mémoires féminines habituées à la modestie, à la pudeur et à l’ombre ? Comment évoquer un crime rarement abordé: la destruction des enfances et des adolescences des enfants de ces émigrées/immigrées ?
Il est vrai qu’en ces temps-là, Camus, l’intellectuel d’Algérie, considéré partout comme étant «la voix de l’Algérie», préféra sa mère à la justice pendant que les indépendantistes algériens choisissaient de se sacrifier pour retrouver leur liberté et leur dignité.
Si dès 1873, l’émigration kabyle fut une pièce «de la politique berbère»(1) de l’Administration coloniale, elle fut surtout masculine, c’est-à-dire composée d’hommes valides venus pour travailler ou combattre dans l’armée française. L’émigration familiale débutera après la Seconde Guerre mondiale. L’appel à un nombre plus important de salariés «bon marché» pour la reconstruction de la France et la dégradation de l’économie traditionnelle qui développa une misère accrue en Algérie allaient provoquer un regroupement familial, non préparé par les pouvoirs publics, d’où l’installation de ces familles dans les taudis des centres-villes ou dans les bidonvilles situés à la périphérie des grandes villes industrielles.
Pendant la guerre d’indépendance, il y eut une amplification du phénomène migratoire des femmes et des enfants rejoignant les chefs de famille, phénomène dû aux déplacements forcés, par l’armée coloniale, des populations rurales afin qu’elles ne «servent pas de base arrière au FLN»(2). Ces «regroupements» ont déstructuré les anciennes formes de solidarité tribale et amené ce que Germaine Tillon a qualifié de «clochardisation»(3) de la population.
Le statut de l’immigrée dépendait de celui du mari, lui-même étant un «indigène» ou un «Français Musulman» voire un simple «Nord-Africain», c’est-à-dire sans réelle assise de citoyenneté, cette cohorte féminine fut sans citoyenneté et oubliée à ce jour. Elles ont affronté les affres d’une immigration non souhaitée et furent plongées dans un système social aux antipodes de leur culture rurale et orale. En 1954, 95% d’entre-elles étaient analphabètes, les quelques scolarisées avaient fréquenté le système scolaire colonial ou les écoles coraniques. Ainsi, pour elles, à cet exil forcé s’ajoutaient les nouveaux défis liés à la «Guerre d’Algérie en France».

A l’époque, le contexte international de guerre froide et de décolonisation mettait en parallèle les idées d’émancipation des pays et des êtres.

Sachant que tout processus rapide de changement social se heurte à des rejets individuels et collectifs, la Fédération de France du FLN, pour enrôler ces femmes, faisait dépendre la libération de la femme de l’avènement de la société future. Donc, en France, la lutte de la femme algérienne a été vite adaptée de manière originale aux conditions locales. Outre les tâches de liaisons, renseignements, ravitaillement, aides aux familles des patriotes du maquis, des prisons et des camps, elle a charge d’établir des contacts avec les femmes de France et de leur montrer le véritable visage de notre Révolution...(4)
Nées et élevées dans un système patriarcal rigide, ces femmes allaient traverser les siècles d’un grand bond. Résistantes de l’ombre, elles savaient que l’imprudence de l’une d’entre elles ou la délation des relais du pouvoir colonial entraînerait automatiquement de graves conséquences pour l’ensemble des combattants.
Dès le début de la Révolution, François Mitterrand (ministre de l’Intérieur) répondit à sa manière aux soulèvements: «... l’Algérie, c’est la France et tous les moyens seront réunis pour que la force, quelles que puissent être les difficultés et les cruautés de cette tâche, seront employés pour préserver la France...»(5). Tous les services (travail, logement, santé) destinés aux «Nord’Af» (Algériens) dépendaient de son ministère, les responsables de la Fédération le savaient et devaient en tenir compte pour agir.
Ces immigrées connurent toutes les épreuves de la répression militaire et policière qui voulait, à tout prix, décapiter la Fédération de France du FLN. Ainsi, «les réactions policières sont loin d’être négligeables; l’action de la DST provoque de sérieux dégâts dans les rangs de l’état-major métropolitain du FLN. Celui-ci est sérieusement handicapé par les arrestations d’avril 1955 puis par celles d’août 1956. En février 1957, la presse annonce que «le FLN en France est décapité»»(6)
Elles subirent les harcèlements constants des policiers, leurs matraquages, leurs pillages, les destructions de papiers à toute heure du jour ou de la nuit au milieu des enfants, dans tous les bidonvilles et les quartiers d’habitat insalubre(7). Le 6 septembre 1955, sur l’ensemble du territoire français, 30 000 Algériens furent contrôlés le plus souvent dans leur logement en présence des femmes et des enfants, quelques-unes s’en souviennent encore.
A ces exactions policières, s’ajoutaient les craintes de rencontrer les sbires du MNA(8) qui agissaient directement sur les populations ou qui servaient d’informateurs aux forces de répression coloniale. «... Au cours des premières années de guerre, on trouvera partout le MNA face à nous, en Algérie et en France, il fut la cause de pertes d’hommes, de luttes fratricides et de gaspillages d’énergies. A cause de Messali, ses disciples manquèrent au rendez-vous de l’Histoire». (9)
En Algérie et en France, celles et ceux que les politiques et les médias de l’époque nommaient «terroristes» faisaient face à la quatrième puissance militaire de l’époque, qui était membre de l’OTAN et bénéficiait de l’aide américaine pour son armement (10) et des apports des services secrets amis y compris au Moyen-Orient.
Devant la difficulté de casser entièrement la Fédération de France du FLN, en 1959 Michel Debré créa une police parallèle formée de harkis encadrés par des officiers français. Placées entre le marteau et l’enclume, les immigrées furent, néanmoins, des soldats de l’ombre redoutables, elles voulaient laver l’insulte de «fatma», donnée à des générations d’ancêtres. Les héritières de Dihya renouaient les fils de la dignité de leur mémoire ancestrale, ne furent-elles pas bercées par les chants à la gloire des «bandits d’honneur», et les récits des massacres qui ont suivi tous les soulèvements dans le pays, dès le début de la colonisation. Elles avaient, pour certaines, vécu personnellement ou à travers des membres de leur famille la répression sanglante du 8 mai 1945 et ses massacres à Guelma, à Sétif et Kherrata. Elles avaient vu l’aviation coloniale survoler tout l’Est algérien durant ce sinistre mois. Et si pour les colonialistes les tortures vont de pair avec l’identité du colonisé, une femme relatant les tortures subies pendant la Révolution dit «j’ai subi ça avec fierté pour mon pays»(11).
Elles obéirent aux directives de la Fédération sans sourciller, sans crainte du danger et sans poser de questions ou remettre en doute les ordres reçus, seule la liberté du pays comptait. Elles accomplirent des faits héroïques restés sans reconnaissance, sans avantage et sans médaille.
Durant des décennies leur participation et leurs sacrifices subirent une chape de plomb tant de la part de leurs «frères» que des historiens, faut-il s’en étonner puisque dès le début de la Révolution, Frantz Fanon, le thérapeute engagé, n’aborda ni leurs mots, ni leurs maux. Ce qui lui paraissait le plus important, le plus urgent, c’était de passer du colonialisme à l’indépendance et de l’indépendance à la libération de tous les citoyens algériens où la femme serait tout simplement l’égale de l’homme comme avant, comme pendant la guerre de libération nationale(12).
Pourtant, elles ont pris part à des faits connus du grand public telle Aïcha Aliout, née en 1930 à Bono (Maubeuge), qui fit partie en 1958 de l’OS de la Fédération de France, elle participa à la tentative de sabotage du réseau de transmission de la Radio-Télévision française et de la Préfecture de Police placé au sommet de la tour Eiffel.
A Montpellier, elles se souviennent qu’il y a eu des soutiens de certains syndicats étudiants mais d’autres ne se sont pas gênés, en janvier 1956, pour refuser, à coups de poings, une réunion d’information d’étudiants nationalistes algériens, le Conseil d’Université demanda que soient supprimés aux «terroristes» le restaurant, le logement et le droit de se présenter aux examens.
Le 5 octobre 1956, lors du couvre-feu décrété par Maurice Papon (préfet), la Fédération avait décidé une manifestation de riposte le 17 octobre, en donnant l’ordre de placer les femmes et les enfants en tête des cortèges, il fallut attendre l’ouvrage de référence de Jean-Luc Einaudi(13) pour lever le voile sur ce qui fut un crime de plus dans la politique colonialiste.
Les 19 et 20 octobre 1961, suite aux massacres et à la répression du 17, la Fédération de France du FLN étend à la province les manifestations. La police arrête femmes et enfants sans ménagement.
Le 7 novembre et le 9 novembre, plusieurs grèves de la faim sont engagées par les prisonniers, les femmes algériennes manifestent devant les prisons, elles subissent les arrestations, les confiscations de banderoles et quelquefois des confiscations de papiers d’identité.
La hargne de l’OAS jusqu’au-boutiste a pratiqué la terre brûlée en Algérie, en France ses assassinats et ses plasticages destinés aux «ratons» n’épargnèrent pas les Français qui connurent l’horreur, le 6 février 1962, à travers le cas de la petite Delphine Renard qui perdit la vue suite à une bombe lancée dans l’appartement familial destinée, en fait, à André Malraux. La manifestation de protestation du lendemain, organisée par les anti-colonialistes se solda par 8 morts et 250 blessés, elle demeure dans les mémoires sous le nom de la «Tragédie de Charonne».
Aux tortures physiques et psychologiques, ces femmes et leurs enfants partagèrent les privations de tous ordres puisque 95% du financement de cette Révolution dépendaient des cotisations versées par la 7e Wilaya(14).
Ce trésor de 500 millions francs (de l’époque)(15) versés chaque mois par 150 000 cotisants, pour 250 000 personnes (femmes et enfants compris) ne peut réellement indiquer la mesure des sacrifices consentis que si l’on évalue le poids de la cotisation demandée à un manoeuvre (90%) qui gagnait 42 000F par mois dont 3 000 F étaient destinés à la Fédération de France, surtout que certains immigrés cotisaient aussi dans leur région d’origine.
Moment exceptionnel par son originalité et sa densité, pourtant l’origine sociale de groupe et la conscience de classe n’étaient pas connues de l’ensemble des Algériennes(16). Puisque «en effet, la Fédération de France du FLN s’applique à organiser les femmes algériennes émigrées, à élargir leur culture politique, et à leur expliquer les missions précises qui les attendent aujourd’hui et demain».(17) Ce demain qui devait chanter pour elles aussi ne vit pas le jour, l’épopée de leurs engagements resta sous silence même si elle habite leurs mémoires et celles de leurs descendants. Dans les bidonvilles en dur qui ont remplacé les bidonvilles en carton et en zinc, les humiliations vécues au quotidien subsistent avec le mythe du retour depuis des décennies. Ce n’est qu’en 1999 que la France reconnaîtra «la Guerre d’Algérie», si les responsables politiques ne parlent plus de «pacification» ou «des événements», les descendants des colonisés sont toujours regardés et traités à travers les mêmes problématiques de citoyens de seconde zone.
Quant au statut offert par l’Algérie aux émigrées, il peut être défini par Victor Hugo écrivant dans sa lettre à Léon Richer en 1872: «La loi a des euphémismes: ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure».

NOTES
1. Gillette Alain et Sayad Abdelmalek, «L’Immigration algérienne en France», Ed. Entente, 1984 (1re 1976), 286 p
2. Comaton Michel, «Les Regroupements de la colonisation en Algérie», préface de Germaine Tillion, Ed. Ouvrières, 1967
3. Tillion Germaine entretien avec J. Lacouture, «La Traversée du Mal», Arléa, 1997, 125 p.
4. «Français, le savez-vous ? La vie quotidienne des travailleurs algériens en France». Fascicule édité par la Fédération de France du FLN, août 1960, 16 p.
5. A l’Assemblée nationale, JO du 3/11/1954.
6. Raymond Muelle, «7 ans de guerre en France - quand le FLN frappait en métropole», Grancher, 1994.
7. Monique Hervo, «Chroniques du bidonville», Seuil, 2001.
8. Le MNA comptait de nombreux militants anti-FLN dans le Nord et l’Est de la France.
9. Ferhat Abbas, «Autopsie d’une guerre», l’Aurore, Ed. Garnier, 1980.
10. Irwin. «Wall, l’influence américaine sur la politique française, 1945-1954» Balland, 1989
11. Film de René Vautier, «Peuple en marche», 1963
12. Benamar Mediene, p.69, «La Femme algérienne dans la lutte de libération nationale», Cahiers maghrébins d’histoire, Université d’Oran, n°4, juin 1989.
13. Jean—Luc Einaudi, «La Bataille de Paris», Seuil.
14. Ali Haroun, «La 7e Wilaya, Guerre d’Algérie, 1954-1962», Seuil, 1986.
15. Hervé Hamon-Patrick Rotman, «Les Porteurs de valises, la résistance française à la Guerre d’Algérie», Albin Michel, 1979.
16. Andrée Michel, «Les classes sociales en Algérie», Cahiers Internationaux de Sociologie n°1, CNRS/P.U.F, 1965, 220 p.
17. «Français, le savez-vous, la vie quotidienne des travailleurs algériens en France», Ed. FLN (Fédération de France), août 1960, 15 p.

SACI BENHALMA
Moudjahid témoin des massacres du 8 mai 1945
« Défendez notre mémoire ! »


« Celui qui ne sait pas et se tait est un ignorant. Celui qui sait et se tait est un criminel », Friedrich Nietzsche. On les a tués par jalousie, par vengeance, on les a tués parce qu’ils étaient plus beaux qu’eux. »


Lorsque, dans différents colloques traitant des massacres du 8 Mai 1945, Saci Benhamla lance ces mots à propos des colons de toutes origines, composant la fameuse milice ayant alors sonné l’hallali, il sait ce qu’il dit et l’assistance, qui n’en revient pas, boit ses propos goulûment. Et Saci de citer des noms de jeunes Algériens connus sur la place de Guelma, ayant fait les frais de ces massacres, parce que tout simplement ils étaient beaux. Beaux d’accord, mais bien entendu indépendantistes avant tout. Et pour avoir vécu ces événements - il avait alors 19 ans -, il ne les a jamais oubliés. Il en fait depuis son dada, sa passion, son credo. Il fait de la cause des martyrs du 8 Mai 1945 son combat pour la vie après celui mené pour l’indépendance. Il en fait un sacerdoce. Un devoir de mémoire à relever pour que nul ne l’oublie. Il lutte pour qu’on les reconnaisse, pour que la nation indépendante les reconnaisse en tant que martyrs à part entière. Agé aujourd’hui de 78 ans et perclus de maladies, à propos de sa prise de conscience, il dira cela : « C’est très jeune que j’ai commencé à réaliser que quelque chose allait se passer en Algérie, un événement important était en train de prendre racine, qui allait bouleverser ma vie et celle des jeunes de mon âge. Déjà à l’âge de 10 ans, il m’arrivait d’entendre autour de moi, principalement dans l’épicerie sise à la rue de Announa, que gérait mon père, parler les clients de choses que je ne comprenais pas. On en chantait des louanges : Sidi Bendjelloul raïs el gaoumia, Sidi nandeh bik sabha oua aâchia... »

La tournée de l’émir khaled
Et d’ajouter cela : « Vers 1922, racontaient les aînés, l’Emir Khaled, le petit-fils de l’Emir Abdelkader, dans la tournée qu’il effectua à travers le territoire national, visita Guelma et fera un discours à l’adresse d’une population chloroformée par les effets néfastes de la colonisation, aidée dans ce sens par le maraboutisme, qui, encouragé par une administration complice, vit et profite de la misère des gens, en leur faisant miroiter un monde meilleur dans un paradis de cimetières. L’Emir Khaled vint s’adresser à une population au sein de laquelle le colonialisme a fait des ravages en matière d’abrutissement et d’ignorance et qui restait en outre livrée aux seuls charlatans ; il essayait d’éveiller l’esprit de ces gens qui ne comprenaient rien à ce qui leur arrivait. Demandant à quelqu’un parmi la foule rassemblée à la terrasse du café Saïd Bentoumi, à la place Salluste (aujourd’hui place du 20 Août 1955) de lui apporter un fagot de bois, il invita, après que la chose fut faite, à l’assistance de le briser. Plusieurs tentèrent de le faire, sans résultat. Alors, il délia la ficelle qui attachait le fagot, et leur démontra qu’on pouvait maintenant en briser facilement une à une les branches. Un cours pédagogique signifiant que leur force réside dans leur union et que, pour vaincre le colonialisme, il faut qu’ils soient unis. » Un jour, en 1938, Saci, âgé à peine de 12 ans, s’est retrouvé au milieu d’une grande manifestation organisée par l’administration française au lieudit El Karmet sur les hauteurs de Guelma, à laquelle participaient les élus locaux musulmans, composant la fédération des élus musulmans, dont le président n’était autre que Dr Mohamed Bendjelloul, député à l’Assemblée nationale, celui-là même dont la principale revendication était l’assimilation des Algériens. Les manifestants criaient : « A bas Mussolini, mangeur de macaronis ! » On disait que l’Italie ayant envahi la Cyrénaïque, faisait monter les musulmans dans l’avion pour les jeter dans le vide. Ancienne possession britannique, elle était l’objet de convoitise de la part des Italiens, des Allemands et bien entendu des Français, pour l’exploitation de son pétrole. Certains manifestants brandissaient le drapeau français. Puis, tout à coup, un groupe de personnes surgi d’on ne sait où, appelait la foule à les écouter en leur montrant un drapeau jamais vu auparavant et en leur disant : « Voici votre drapeau, votre vrai drapeau, celui de l’Algérie. » Comme toute réponse, ils reçurent une volée de pierres sur leur tête. Plus tard, il saura que ce petit groupe de personnes qui avait montré à la foule le drapeau qui lui semblait être celui actuel de l’Algérie indépendante était le premier noyau des militants du PPA, en l’occurrence Ahmed Djelloul, Abdelkader Herga, Amar Boudjerida, Amar Oucif, Amar Aïssani, Ahcène Demnati, dit Ahcène Guenaoua et Mohamed M’Rad dit Tiou-Tiou. L’année d’après, Abdelkader Herga, Amar Boudjerida et Ahmed Djelloul, après la dissolution du PPA, furent arrêtés et condamnés par le tribunal militaire d’Alger respectivement à 9, 8 et 5 ans de prison, plus une amende collective. Ces personnes étaient auparavant des militants de l’Etoile nord-africaine (ENA). Le lieu-dit El Karmet, où jadis étaient plantés des figuiers et un arbre plus que centenaire, connaîtra d’autres hauts faits historiques. C’est là où furent fusillées en 1922 sept personnes, dont une femme, membres d’une même famille, celle des Keblouti, tribu dont est issu Kateb Yacine, ayant été condamnées par un tribunal pour rébellion. Et c’est là aussi où se rassembleront les manifestants du 8 Mai 1945, avant de suivre l’itinéraire connu au centre-ville, marche qui se terminera dans un bain de sang. Le jeune Saci Benhamla travaillait au greffe du tribunal de Guelma, quand son voisin Brahim Bahloul vient lui dire un jour s’il voulait intégrer le PPA, qui activait clandestinement en 1943. Il accepta et lui donna le mot de passe « Emir Abdelkader ». La première réunion à laquelle il assista un jour de cette même année, s’était déroulée au siège des AML. Il y remarqua une personne habillée en militaire. Il saura qu’il s’agissait de Souidani Boudjemaâ. « On m’a désigné chef de groupe qui comptait Tahar Seridi, Abderrahmane Limane, Djaâfar Sansri, Kaddour Laloui et Chohra Hocine. Mon chef direct était Chaïbi Hamid, un employé de l’hôpital civil, fusillé lors des massacres du 8 Mai 1945. Plusieurs éléments de ces fractions ont été tués lors de ces massacres. Rien ni personne ne pourra décrire ces jours noirs. Beaucoup d’émules de Bugeaud ont fait des ravages au sein de la population et dans les rangs du PPA. Vers le mois d’octobre 1945, le PPA se reconstitua sous le commandement du nouveau chef de la wilaya de Constantine, Mohamed Belouizdad, qui est venu à Guelma installer le comité dirigeant de la section PPA clandestine en nommant Idir Oumoussa, président, et moi, secrétaire. En 1947, je fus désigné chef de section de l’OS de Guelma en remplacement de Abdelkader Boutesfira dit Kaddour rouge, qui avait demandé son transfert à Annaba pour des questions familiales, qui lui-même avait pris la place de Souidani Boudjemaâ appelé à d’autres missions. Le bureau de l’OS de Guelma a été installé en 1947 par Mohamed Boudiaf, Larbi Ben M’hidi et Brahim Chergui dans le local de Mohamed Nasri, une cordonnerie qui servait aussi d’école coranique sous la houlette de Si Zaroug Zeroulou. » Trois années d’activités de l’OS s’écouleront sans que les services français y sachent quoi que ce soit. « Mais, dira Saci Benhamla, la tentative de l’application de la condamnation (personne n’a jamais su la peine infligée) du dissident Rehaïm de Tébessa, dont l’enlèvement avait mal tourné par la faute d’une mauvaise gestion de Amar Benaouda, - qui avait présidé le conseil de discipline à Annaba, et qui, dans l’exécution de la condamnation de ce dissident, entraîna dans son sillage Didouche Mourad quelque peu naïf, ne connaissant pas son excès de zèle -, fut un grand fiasco, œuvre du "Matador" Si Amar Benaouda. Cette triste affaire coûta très cher à l’organisation puisqu’elle sera à l’origine du démantèlement de l’OS et à l’arrestation de 130 personnes, dont certaines ont été condamnées à de lourdes peines. »

Défendons la mémoire des martyrs
Quoi qu’il en soit, pour Saci Benhamla, la révolution était un devoir et ce qui en est un aujourd’hui, est la défense de la mémoire des martyrs. Il cite les propos de Didouche Mourad (Si Abdelkader), qui disait : « S’il nous arrive de mourir, défendez notre mémoire. » D’aucuns se demandent comme lui comment qualifier d’une manière appropriée ce qui s’est passé le 8 Mai 1945 et les jours qui suivront. S’agit-il d’une insurrection, d’un soulèvement, d’une manifestation pacifique ou de massacres, sachant que cet événement et cette date constituent, de l’avis des historiens et autres observateurs avertis, une étape charnière de la lutte du peuple algérien pour son indépendance, qu’on avance généralement comme le prélude à Novembre ? La question mérite d’être posée, car, en vérité, les morts pour cette cause sont toujours relégués au fin fond de l’oubli, qu’on sort en les qualifiant de martyrs uniquement lors des occasions de forte démagogie. Plus encore, les massacres du 8 Mai 1945 sont aussi un crime contre l’humanité. La fondation nationale du 8 Mai 1945 et l’association de la wilaya de Guelma du 8 Mai 1945 créée en 1995, dont Saci est le président, ont beau batailler pour mettre en relief un certain nombre de valeurs de cette période de l’histoire et pour combler beaucoup de « trous de mémoire ». En vain. Saci Benhamla nous apprend que ces martyrs, qu’on se plaît à appeler ainsi, n’en ont malheureusement pas le statut, et que, pis encore, ils sont toujours portés vivants sur les registres de l’état civil. Où sont passés les milliers de martyrs de Sétif, Guelma, Kherrata et bien d’autres localités ? Saci Benhamla qualifie le 8 Mai 1945 de page sanglante et non moins glorieuse de l’histoire de notre peuple. « Ces morts nous interpellent et nous demandent : qui sommes-nous ? Pourquoi la loi du chahid et du moudjahid ne nous reconnaît pas comme tels ? etc. », dira-t-il. Aussi, faisant de cela son cheval de bataille, Saci Benhamla ne cesse de transmettre aux hauts responsables du pays dossiers et correspondances, dans lesquels suggérées entre autres l’insertion de la formule suivante en marge des registres de l’état civil : morts pour la patrie, et la reconnaissance officielle de ces martyrs par la loi en les désignant à tout le moins « martyrs de l’histoire ». Bouteflika, ainsi que les précédents présidents, a été destinataire de ces correspondances, mais il n’y aura pas de suite. Seuls quelques chefs de parti ont daigné lui répondre, notamment Louiza Hanoune, qui approuve son combat. Parce que les massacres du 8 Mai 1945 sont un crime contre l’humanité, Saci Benhamla, par le biais de l’association, a toujours proposé (et le fait encore avec ce qu’il sait et ce qu’il peut) la création d’une commission composée de spécialistes pouvant porter l’affaire devant les tribunaux algériens et internationaux par le biais de commissions rogatoires devant désigner les criminels. Encore que ces derniers soient notoirement connus, tels que le général Duval, commandant de la division (militaire) de Constantine, Charles Tillon, ministre de l’Aviation dans le gouvernement de de Gaulle, Maubert, maire de Guelma, Lestrade-Carbonnel, préfet de Constantine, André Achiary, sous-préfet de l’arrondissement de Guelma, Bernardini, procureur de la République près le tribunal de Guelma, Henri Garrivet, instituteur, chef de la section socialiste (SFIO) et président du comité du salut public (milice) et bien d’autres encore. Quand il s’agit de défendre la mémoire des martyrs, il se fait violence, malgré son âge avancé, pour dire son mot.

Saci écrit à Chirac
A la fin de 2002, profitant de la prochaine Année de l’Algérie en France, Saci Benhamla au nom de l’Association du 8 Mai 1945 de Guelma, a adressé une lettre ouverte au président de la République française, dans laquelle il l’invitait à demander pardon en tant que chef de l’Etat français au peuple algérien et à lui présenter des excuses officielles, peuple que son pays a fait souffrir et (auquel) il a confisqué richesses et biens. Il lui a écrit : « Ayez la magnanimité, la noblesse et le courage que n’ont pas eus vos prédécesseurs, que l’histoire a rattrapés dans leur fuite et leur persistance à refuser de reconnaître la responsabilité de la France dans les malheurs et les tragiques événements vécus par le peuple algérien. » Il lui demandait de ne pas arborer le profil frisant la haine de Lionel Jospin, qui a dit devant l’Assemblée nationale française : « Jamais, jamais de repentance, laissons aux historiens la tâche d’écrire l’histoire. » Il évoquait dans cette lettre les enfumades et les nombreux massacres ayant jalonné la nuit coloniale, dont celui du 8 Mai 1945, où pas moins de 45 000 personnes ont été tuées, celui du 20 août 55 à Skikda, celui du 13 février 1960 à Reggane, où 200 personnes du camp de concentration de Bossuet près de Sidi Bel Abbès, ont servi de cobayes pour les essais nucléaires. A. Boumaza

Biographie

Parcours : né le 12 septembre 1926 à Guelma, Saci Benhamla a dû arrêter très jeune ses études parce que tout simplement son école devait servir de lieu de casernement pour les alliés. Il perdra aussi son travail pour ses activités politiques et pour avoir participé à la marche du 8 Mai 1945. Il fut secrétaire de la section PPA-MTLD, puis chef de la section OS de Guelma. Après l’affaire Rehaïm et le démantèlement de l’OS, il fut emprisonné de 1950 à 1953. Il sera déporté et aura connu les prisons et camps de concentration, à Aflou, à Bossuet, à Arcole, Sidi Chahmi (Oran), etc., de 1955 à 1962. L’indépendance retrouvée, il sera membre du comité central du FLN. Moudjahid, invalide, il est actuellement président de l’Association du 8 Mai 1945 de la wilaya de Guelma.

A. Boumaza
in EL WATAN du 4/11/2004
 

Ces Français qui se sont battus pour la révolution
Chaulet, Audin, Laban et les autres

Par René Fagnoni
In liberte du 04/11/2004
http://www.liberte-algerie.com/rub.php?rubrique=Dossier%201ier%20Novembre


Mais le jour où les peuples auront compris qui vous étiez, ils mordront la terre de chagrin et de remords ; ils l'arroseront de leurs larmes et ils vous élèveront des temples.” Vercors.

Après une longue histoire tumultueuse et souvent dramatique, aujourd’hui entre l’Algérie et la France, c’est une affaire d’affection et de passion du fait des liens que le passé a tissés entre nos deux pays par des souvenirs d’épreuves et de douleurs. Il nous faut renouer le fil du dialogue sur ce qui, pendant très longtemps, n’a pas été exprimé, afin de reprendre ensemble l’histoire en marche. Des premiers pas viennent d’être effectués dans ce sens. Ainsi, lors du quarantième anniversaire de l’indépendance, le 5 juillet 2002, le président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, a inauguré à Alger une stèle rendant hommage à ces Français qui ont combattu aux côtés des Algériens lors de la guerre de Libération. Ce monument réhabilite la mémoire de ces oubliés de l’Histoire, véritables héros et acteurs primordiaux de la Révolution algérienne. C’est un geste politique et symbolique important qui rappelle le souvenir de ces “Justes français”, peu nombreux, mais qui ont fait preuve d’un immense courage. Ils représentent aujourd’hui l’honneur de la France. De cette France, patrie des droits de l’Homme, terre de liberté, mère des révolutions et des valeurs du siècle des Lumières. Grâce à eux, l’image de la France dans le monde ne perdit pas tout à fait de son éclat au cours de cette guerre abominable. Ils sont des exemples pour notre époque qui manque cruellement de héros. Cette stèle leur rend justice et fait écho à la plaque dévoilée par Bertrand Delanöe, maire de Paris, en octobre 2001 sur le pont Saint-Michel, rappelant le souvenir des Algériens massacrés lors de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, ainsi que l’inauguration en mai 2004 de la place Maurice-Audin, le militant anticolonialiste assassiné, qui a constitué l'un des temps forts de la vie politique française durant la dernière période. L’Algérie revient en force sur le devant de la scène française. Une quarantaine d’années après l’indépendance, non seulement elle barre la une de bien des journaux, mais elle a fait aussi l’évènement en 2003 avec “Djazaïr, l’année de l’Algérie en France”. C’est que depuis quelque temps, les bouches commencent à s’ouvrir et la parole se met à circuler sur cet épisode de notre histoire longtemps occulté. Une nécessaire clarification doit avoir lieu pour exorciser les années de guerre et de souffrances infligées au peuple algérien en lutte pour sa libération.

L’histoire finira par y voir clair
Non, ni la torture ni les atrocités indicibles commises en Algérie n’étaient inéluctables. Ceux qui les ont perpétrées l’ont fait de leur propre chef, c’est leur responsabilité. Rien ni personne ne saurait le justifier. Il faut le déclarer aujourd’hui, on aurait dû le faire beaucoup plus tôt, même si des voix se sont déjà élevées que peu de monde était prêt à entendre. Un jour viendra peut-être où il faudra juger les coupables de ces crimes innommables. De toute façon, si nous ne savons pas le faire, l’histoire finira par y voir clair et désignera les responsables. Dans ce lourd passif, il convient de rappeler l’action généreuse et courageuse de cette poignée de Français qui ont su venir en aide au peuple algérien aux pires moments de la colonisation ou lors de sa lutte révolutionnaire. Ces Justes, ni Arabes ni Berbères, mais cependant profondément Algériens, tels Daniel Timsit et Georges Rafini qui, au nom de l’égalité et de la fraternité de tous les hommes, de leur droit égal à la dignité et à la vie avaient pris place parmi les résistants. Nés dans un monde colonial pétri de racisme, de violence, de haine et de mépris pour les autres, ils avaient eu l’incroyable et impardonnable audace de rejoindre le camp des opprimés et des exploités. De ceux-là, on ne parle plus aujourd’hui. Pourtant, on leur doit les rapports chaleureux qui unissent encore l’Algérie indépendante à la France.

Afin que nul n’oublie
Une épopée. Il n’est pas d’autre mot pour évoquer le parcours de ces hommes et de ces femmes qui choisirent délibérément de se lancer au péril de leur vie dans le combat du peuple algérien pour son indépendance. Leur grandeur sera d’avoir suivi ce chemin jusqu’au bout, d’être restés fidèles à eux-mêmes, à leurs camarades, à leur engagement et à leur idéal. C’est là une héroïque et fantastique aventure, que, depuis plus de quarante ans, pour des raisons diverses, l’histoire “officielle” aura tenté d’effacer des mémoires. Pourtant, l’immense majorité du peuple algérien a salué en eux des frères de lutte exemplaires au courage exceptionnel. À ces hommes et ces femmes qui ont su vivre et mourir pour leur idéal avec tant de simplicité et de grandeur, nous leur devons bien cette fraternelle et chaleureuse affection qui les sortira de la nuit de l’oubli où l’on voulait les ensevelir une seconde fois. On ne peut s’empêcher d’évoquer ici la mémoire de tous ces Français engagés aux côtés des combattants algériens, qui furent bien plus que les 121 du fameux Manifeste signé avec J-P Sartre. Leur attitude courageuse témoigne de ce pourquoi tant d’hommes et de femmes, philosophes de renom ou citoyens de base, ont témoigné au péril de leur vie. Ce sont des disciples de Montesquieu, de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau, ces jeunes Français qui, d’une façon ou d’une autre, ont dit non à une guerre injuste. Il faut rappeler les grandes figures du docteur Pierre Chaulet, André Mandouze, Fernand Iveton, Maurice Audin, Henri Alleg et Maurice Laban, le Biskri, brave entre les braves, qui parlait l’arabe comme une mosquée et sera tué les armes à la main avec l’aspirant Maillot dans l’Ouarsenis, en juin 1956. Et tous les autres, connus et anonymes qui ont contribué à écrire l’histoire de l’Algérie indépendante. Malgré tous les efforts faits pour les chasser de l’histoire commune de la France et de l’Algérie, ces Justes laisseront dans nos mémoires leur trace incandescente et un message ineffaçable. Les femmes aussi, héroïnes de la guerre de Libération. Tels les destins entrecroisés et tragiques de ces deux jeunes infirmières de l’ALN dont le nom reste attaché à la région des Aurès. L’une, Algérienne native de Mérouana, Ziza Massika combattante intrépide, tuée à 25 ans lors d’un bombardement à Collo en Petite Kabylie, en septembre 1959, près de l’hôpital dont elle était responsable. L’autre Française et Algéroise, Raymonde Peschard, arrêtée le 26 novembre 1957 à Draâ Errih (Medjana) où elle fut torturée et massacrée délibérément par les bourreaux colonialistes. Toutes deux se connaissaient et symbolisent, comme dans une tragédie antique, le combat de celles et de ceux qui sacrifièrent tout à leur idéal de justice et de liberté. Afin que nul n’oublie la grandeur de leur sacrifice, il est important aujourd’hui que certains racontent ce qu’ont fait ces femmes et ces hommes, le souvenir de leurs actions héroïques, afin que cela ne meure jamais et ne s’efface de la mémoire avec le temps. Mais le meilleur hommage ne leur a-t-il pas été rendu par l’histoire elle-même ? Nombreux sont ceux qui, des deux côtés de la Méditerranée, pensaient l’indépendance de l’Algérie irréalisable, la pensaient impensable ! L’Algérie était tellement intégrée à la France coloniale, elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Cette France dont la puissance était si grande qu’elle pouvait décourager n’importe quelle volonté de lui résister. Et pourtant il y eut 1962 et l’avènement de l’indépendance de l’Algérie. Tout finit par arriver dans la vie d’un homme. Y compris le souhait toujours renouvelé de revenir sur cette terre d’Algérie si attachante, quittée une quarantaine d’années auparavant dans le fracas de la guerre. Bien du temps a passé depuis et l’on garde au fond de soi le vif désir de retrouver les personnes et cette part de mystère laissée derrière soi dans le bled. Et puis un jour, à force de l’avoir désiré, le déclic se produit : mon retour sur le sol algérien à l’invitation de l’Unja pour le 15e Festival international de la jeunesse en août 2001 dans l’allégresse du rassemblement des jeunes du monde entier qui ont sensiblement l’âge que j’avais en posant le pied pour la première fois sur le sol algérien. Flot d’émotions considérable.

Le 2e bataillon 7e RTA
C’est une longue histoire que celle qui a transformé l’anxiété de mon premier départ pour l’Algérie en cette joie du retour bien des années plus tard. Le gouvernement de l’époque avait sans doute cru me jouer un bon tour en brisant une fois pour toutes mes positions anticolonialistes par une mesure disciplinaire assez exceptionnelle : mon envoi direct sur le terrain dès le premier jour d’incorporation dans une unité de pointe, le 7e Régiment de tirailleurs algériens, stationné dans les Aurès. Après les premières semaines un peu difficiles et déstabilisantes dans cet univers ô combien différent de celui que je venais de quitter, peu à peu j’éprouvais la sensation de découvrir un monde nouveau, une civilisation différente, au contact direct de mes camarades jeunes appelés musulmans, incorporés de force tout comme moi sous les drapeaux pour une durée de 27 mois. Et puis aussi la rencontre avec la fière population des Aurès, cette région belle et farouche où j’ai appris à connaître et à aimer l’Algérie, au cœur même de la patrie des Fils de la Toussaint 1954. Ce fut la découverte d’un monde envoûtant et surtout la compassion et l’attachement pour les plus humbles, les plus démunis, ces habitants que des années de présence coloniale laissaient dans la misère et le dénuement auxquels venaient s’ajouter le fardeau de l’oppression militaire. Lors de mon affectation au 2e bataillon du 7e RTA à Mac Mahon (Aïn Touta), début d’un long périple dans la région de Batna, cantonné dans des tâches administratives, par bonheur, je n’ai jamais été confronté à un engagement avec les maquisards algériens. Au fil des mois, se sont noués des liens fraternels dans ce contexte pourtant hostile où chaque sourire, chaque main tendue trouvaient un écho et une dimension autrement plus importante que dans la grisaille de la routine quotidienne de nos villes.
Peu à peu s’est opérée cette mutation fondamentale d’une aventure militaire rejetée de tout mon être en une expérience humaine positive. Je songe ainsi à mon vieil ami Tahri Rabah, vétéran des campagnes d’Italie à Monte Cassino et d’Indochine, qui veillait sur moi comme sur son propre fils. Et puis aussi cet autre ami, Ziza Ali, modeste employé de la commune mixte de Corneille (Mérouana), père de deux fils engagés dans le FLN, dont j’ai appris, seulement l’an dernier lors de mon retour en Algérie, qu’il avait eu aussi une fille, héroïne de la Révolution algérienne, Ziza Massika, qui a donné son nom à plusieurs établissements publics dans la zone comprise entre Batna et Sétif d’où elle était issue.

Édifier l’avenir
Il n’empêche que c’est un pays totalement démantelé qui accède à son indépendance en 1962. La majeure partie de ses cadres valeureux sont tombés durant les longues années de guerre et, par-dessus tout, la sauvagerie et le vandalisme de l’OAS, mettant un point final à 130 années de présence coloniale, laissent l’Algérie saignée à blanc dans un état d’analphabétisation quasi générale. Malgré cet holocauste, sans une plainte, le peuple algérien s’est mis à la tâche en se tournant vers l’avenir. Ceux qui sur le terrain ont pu juger de l’indomptable courage de ce peuple luttant sur les pentes arides des djebels brûlés par la fournaise des combats sans merci et du soleil impitoyable savent que ce peuple-là, au bout du compte, ne se laissera pas frustrer d’une victoire historique qu’il a si douloureusement arrachée. Qu’on se souvienne encore que c’est ce peuple en guenilles, disposant d’armes souvent dérisoires, qui a osé défier l’une des plus puissantes armées du monde.
Ce passé glorieux montre bien la maturité politique et le courage dont le peuple algérien a su faire preuve pour aboutir le 5 juillet 1962 à son indépendance. C’est le meilleur gage de confiance en l’avenir pour que, malgré les difficultés qui restent à surmonter, l’Algérie puise au fond d’elle-même l’énergie dont elle a déjà su faire preuve afin de poursuivre sa marche vers le progrès. Que l’apparition au large, par une matinée radieuse, de ses montagnes bleutées, n’étreigne plus d’une sourde angoisse le voyageur de l’avenir comme ces jeunes appelés du contingent qu’on envoyait là-bas mener une guerre fratricide dont ils n’avaient pas voulu. Dans sa grande sagesse, le peuple algérien n’a jamais confondu la poignée de mercenaires au service de la guerre coloniale avec la majorité de la nation française si attentive à cette terre de l’autre rive de la Méditerranée.
Au-delà de la douleur vive encore sensible, faisons le choix de mettre en lumière cette relation forte qui lie nos deux sociétés. Qui sait même si les épreuves endurées n’auront pas aidé nos peuples à mieux comprendre qu’ils sont faits non pour se combattre, mais pour marcher fraternellement ensemble sur la route de la civilisation.

R. F.
Secrétaire général du comité de groupe Socpresse - Le Figaro


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