J’ai rencontré
en ce début de juillet 2004, un ami à Paris, un peu plus
de vingt ans s’étaient écoulés depuis notre
dernière rencontre, depuis le dernier cours partagé ensemble
dans cette classe de lycée mixte, joyeuse…. J’avoue
avoir oublier certains détails, sortis complètement de
ma tête, et voila qu’il se met à parler, à
raconter, et de ses bribes de conversation, jaillissent des étincelles,
réveillant ma mémoire alourdie par d’autres souvenirs,
plus frais cela. Le lycée, c’est si loin de moi, si loin
de nous….les années sont passées, charriant avec
elles nos meilleurs moments. J’avoue avoir oublier jusqu'à
l’air qu’il faisait dans cette ville natale, dans cette
région légendaire où j’étais née
où mon ami était né où des héros
y étaient nés et d’autres y sont morts, cette terre
nommée les Aurès…..
Que d’histoires
avaient alimentés nos rêves d’enfants…..que de
rêves avaient guidé nos pas. Et ce sont ces histoires que je
voudrais retrouver, réécrire, en vérité transcrire
pour que l’oubli ne les ensevelisse point ….ni à jamais.
Aujourd’hui, la narratrice, c’est moi ; jambes pliées
en turque comme j’ai vu s’asseoir mes aïeuls, narratrices
étonnantes, alourdies de tatouages verts et des foulards multicolores,
personnages cultes, mystiques, effrayants parfois nos esprits naïfs,
car craignant des incantations maléfiques. J’ai cherché….cherché
longtemps, le fil conducteur, celui qui me ramènera des siècles
en arrière. Au commencement de tout et de rien, sur cette terre de
Berbérie, antique, immense, royaume déchu de rois mystiques
et de reines tristes l’histoire de la vierge s’était
nouée, s’était faite. Son nom n’arrivera pas jusqu'à
nous, personne ne se souvienne de lui….sauf…Peut-être
cette tombe perdue au milieu de l’Ahmar Kadou, nom plus récent
de cette montagneuse rose qui se dresse comme un rempart haut de ses contre
toute agression contre le temps même qui oserait voler à la
belle sa légende. Cette tombe ne serait-elle pas la sienne…la
légende dit qu’elle est celle de la sainte Taskala, aurait-il
eu une autre sainte qu’elle sur cette terre brûlante de Tifelfel
? Point d’autres indications qui permettraient plusieurs de certitudes
même pas sur les écritures romaines transcrites en ces temps,
sur les lieux même de sa naissance ….et qui restent lisibles,
déchiffrables. Qu’importe, sur cette terre où le sang
a coulé si souvent, il ne reste que le sien asséché,
fossilisé dans la roche là où courre cette eau cristalline,
limpide qui réveille le village de Tifelfel qui raconte son sacrifice.
Au faite connaissait vous, justement la légende de cette eau ? Comment
est-elle arrivée au village de Tifelfel ? Se creusant un passage
dans les rochers ? C’est cette histoire que je vais vous raconter.
C’est donc à Tifelfel qu’elle était née,
la belle, il y a des siècles, du temps où les romains, les
légionnaires passaient par là, construisant Thamugadi, Théveste,
Mascula. Etais-ce en l’an au temps de l’empereur Trajan ? Qu’importe.
Le bel homme, fier dans son allure de légionnaire à la robe
pourpre et casque brillant, arborant ses armures et armes avait mis pied
à Tifelfel, établissant un fortin pas loin des gorges de Tighanamine,
les plus belles d’Algérie, longues de 3 kilomètres,
formées par une brisure verticale dans la muraille qui laisse s’échapper
les eaux de l’oued Abdi. Les Romains s’étaient rendus
compte de la stratégie des lieux et avaient construits deux forteresses
au faite, l’une comme je le disais plus haut à Tighanamine
et l’autre à Tifelfel afin de surveiller l’entrée
et la sortie de ce défilé. Plus bas, dans la vallée
verdoyante entouraient de belles cultures, se chevauchant presque, vu de
loin des villages Tamrit, El-Arrich, Banian, Mchounech….
Tighanamine se cessa pourtant de rentrer dans l’histoire, s’inscrivant
avec ses lettres sur les tablettes du temps ; Des siècles plus tard,
le coup d’envoi de la guerre de libération
nationale partit justement de ses gorges, un certain novembre 1954 et qui
aujourd’hui, défiant le temps porte une autre transcription.
De cette
mémoire fragmentée, reconstituée péniblement
par bribes de conversations, bribes de souvenirs aussi, épuisés
dans des chansons païennes, oubliées depuis…Bavardages
des femmes, murmures d’un lointain amour, récits conjugués
à l’infini et j’aurai aimé écouté
plus attentivement ces voix….non enregistrées, ces voix orales
qui arrivaient comme des rumeurs, envahissant en échos assourdissants
nos mémoires dépouillées. Les femmes surtout se souviennent,
l’honneur de la vierge était sauve….et cela les femmes
s’en souviennent, c’est en vérité, ce qui remplit
leurs esprits…en échos….en soupirs aussi…c’est
leur histoire, féconde, fertile, digne.
Le destin se tramait en ce lever du jour…des signes s’étaient
fait clairs dans le ciel qui se démêlait. La vieille l’avait
prévenu « sur ton chemin aujourd’hui Ô ! Belle
d’entre les belles tu enchaîneras ta vie » un rire cristallin
répondra à la prédiction de la vieille au long corps,
à la peau cuivrée, parée d’amulettes et de talismans.
«Quatre fois la terre aura tournée…juste quatre fois
et ton sang de vierge coulera » la belle se tenait debout, fière,
immobilisée par les yeux noirâtres de la prêtresse qui
l’œil étincelant, fiévreux pointait son doigt vers
elle « Me prédit-elle un mariage » Pensa la belle, qu’importe…les
filles derrière elles s’impatientaient. « Avance…Avance
» fusaient les phrases ininterrompus et les rires aigus.
Etant la plus jeune, la belle ouvrait la marche, derrière elles,
les autres filles du village en file indienne, cruches sur les épaules,
et bijoux en argents, tintaient les bracelets ciselés, les anneaux
bruyants aux pieds, chaussés de sandales de peaux fines et travaillées….crissaient
les pas, sur les pierres, le sentier s’alourdissait, montait péniblement
jusqu’au sommet où coulait la source bénie qui abreuvait
les assoiffés ; passants, voyageurs, villageois et où les
filles venaient puiser l’essentiel de leurs eaux.
Pour soulager la corvée pénible de la collecte de l’eau, sa voix mélodieuse s’éleva dans les airs, réveillant les brises qui faisaient frémir les feuillages touffus des arbres. Le chant s’éleva, s’évapora…un homme s’approcha, descendit de cheval, ultime instant, rencontre inattendue, les yeux se posèrent sur elle, sur ses courbes, détaillant la taille fine, enroulée dans une série de ceintures en laines tressées, accentuant la finesse et le galbe…..le regard s’attarda, le sourire effleura les lèvres et une caresse interdite esquisse le geste. Des vagues tourmentèrent le soldat romain, pénétrèrent en lui en saccades le traversant de haut en bas. Le glorieux centurion qui avait traversé mers et montagnes, arrivant dans ces lieux lointains, venait de rencontrer sur cette piste poussiéreuse d’un village chaoui, sa défaite.
*
Le chef
romain, s’inclina devant la beauté de la femme qui venait vers
lui, légère dans ses robes fluides et depuis chaque soir face
à cette lune qui éclairait ses nuits, il voyait dans sa splendeur
et sa lumière, la splendeur et la lumière de la femme berbère,
celle qui venait de lui prendre son cœur. Il se mit à la courtiser,
surveillant ses allées et venues, rêvassant devant la fontaine
de ses yeux si noirs, si brillants. Il lui offrit présents et regards
doux, mais la belle se tenait à distance…dans sa tête
cheminait une étrange idée. L’amour des siens étaient
plus fort, elle le savait, le sentait. Lui, c’est le colonisateur
qui a vaincu son peuple en s’établissant sur la terre de ses
ancêtres, en fortifiant les camps pour davantage d’infiltration,
le voici donc à ses pieds, aux pieds des monts ancestraux de ich
Aziza.
Alors, l’idée diabolique lui traversa l’esprit, elle
renversa sa tête, jouant avec sa chevelure d’ébène,
les tchoûchânat (grands anneaux en argent) qui pendaient à
ses oreilles balançaient gaiement. Câline, ensorceleuse, elle
colla presque ses lèvres sur celles du romain, le laissant entrevoir
l’immense désir qui branlait son ventre « je suis à
toi, beau centurion…..mais avant tu dois faire quelque chose pour
moi…..veux-tu faire quelque chose pour moi » le romain de la
6ème légion certainement, celle qui avait marqué son
passage par une inscription sur la roche, visible aujourd’hui encore
à Tighanamine, ce romain était près à vouer
son âme au diable pourvu que la belle puisse lui accorder ses faveurs.
Son doigt fin, trace sur la poitrine de l’homme des cercles imaginaires
« veut-tu apporter de l’eau à mon village » le
sacrifice demandé est mince pensa le romain, bientôt la belle
berbère lui appartiendrait. Ce qu’il ne savait pas c’est
que la tâche allait être pénible, longue, épuisante
mais qu’importe…..sans attendre davantage, encouragé
par les caresses et les regards de sa belle, il se mit à l’œuvre.
Il traça des plans, calcula le chemin, dessina des détours,
des courbes, s’associa les sciences d’architecte, emboucha de
la main d’œuvre, détourna l’argent….qu’importe
l’eau arrivera au village de Tifelfel et à ses lèvres
aussi. Il s’abreuvera enfin et abreuvera cette soif intense qui brûlait
sa gorge.
Puis, les saisons s’écoulèrent, les hivers s’en
allaient remplacés par d’autres et les étés remplissaient
la vallée de cigales, de
Quatre années plus tard, le légionnaire romain réussit
enfin son pari, l’eau arriva au village de Tifelfel, venant de la
fontaine, tout au sommet de la colline. Par désir, par amour le romain
avait réussi a tracé donc un cours d’eau dans la roche
jusqu'au village, (visible aujourd’hui encore) quatre années
d’un dur labour, de patience, de rêves interdits, de murmures
suggérant, de frôlements incitants….le voici donc au
bout de sa peine et cette nuit….Oh ! Cette nuit la lune sera en lui.
Elle lui avait donné rendez-vous, la belle parée de tous ses atouts, robes en soie aux couleurs clairs, chamarrés, la gorge opulente ornée de bijoux en argent, le front appesanti de plaques et de chaînes, les yeux noircis et les joues fardées. Elle se tenait offerte dans ce clair de lune qui s’auréolait autour d’elle l’emprisonnant dans une lueur argentée. Fébrilement, il s’approcha d’elle, posa ses lèvres fiévreuses sur les siennes, il en rêvait de cet instant depuis des mois. Elle le laissa faire, ne dit pas un mot, ferma les yeux pour s’échapper de cette étreinte qui la faisait souffrir, elle rêvait la belle à une autre caresse, un autre baiser. Elle s’allongea sur la couche satinée du romain, lui s’éloigna pour se débarrasser des ses armes, ceinture…..quand sa tête se tourna vers elle, son regard s’assombrit, son geste se suspendit…au bord de son lit, une auréole de sang fraîche happait la terre s’infiltrait dans le sol devenu humide….sur la couche, les yeux ouverts, la main encore sur la manche de la dague enfoncée dans la poitrine, la belle dormait d’un sommeil éternel.
*
Triste ton histoire, dis-je à mon ami. L’histoire ne peut pas s’oublier, le cours d’eau est toujours là. Me répondit-il sans doute, mais qui se souvient de cette fille ? Qui parle de cette fille ? Même si l’histoire est inscrite, celle de notre pays est éparpillée, fragmentée comme notre mémoire qui s’était alourdie. L’oubli génère notre impuissance. Tu restes résolument opposé à cette critique stérile. Les gens parlent sans rien dire, sans rien faire, il faut agir amie….écrit donc…écrit car c’est dans le silence que germe l’absence ! Me dit-tu. Soit je vais écrire toutes ces belles histoires que tu m’as racontée, que ma mère m’a racontée que les autres m’ont racontés…Peut-être construirais-je une identité ou complèterais plutôt cette identité qui nous fait défaut. Les Aurès, patrie de mes aïeules semble si lointaine, l’exil qui en moi m’a coupé tout comme toi ou partiellement de cette identité. Que de vestiges pourtant sur cette terre riche en histoire, que de mémoires seraient mises à nus au premier coup de pioche sur ces terres, les fouilles exhiberaient une histoire archivée par le temps. Les byzantins, les romains, les vandales, les arabes, les français…….quel pays se targuerait d’avoir été le centre de la terre ainsi. Oh ! Que de femmes, que d’hommes ont aimé cette terre, chacun à sa façon comme nous à notre façon moi en écrivant, toi en tentant de mettre en place des réseaux pour sortir cette culture du néant. Nous avons eu des moments de gloires, nos aïeules aussi. Sait-tu toi, qui parle de combats de luttes qu’ils étaient des passionnées, des amoureux transis ? Cela te fait sourire, un Chaoui, fier, dur au front plat, têtu, car disait-on s’abreuve exclusivement de lait de chèvre désarmé, et devant l’amour…
*
Soir d’automne
d’un 1924, une folie meurtrière traversa le ciel et l’esprit
de l’homme qui se prénommait Boubchir, un des membres de la
tribu les Ouled Daoud dit aussi Touaba installée sur l’oued
El-Abiod. Ce Touaba, un homme, robuste, fier bombant son torse devant ceux
qui passaient devant ses champs aimait et allait par amour commettre l’irréparable.
Pourtant, rien ne prédestinait cet homme à un tel destin,
tendre et affectueux disait-on de lui mais coléreux par moment. Il
épousa une jeune fille, bergère qu’il connût dans
la plaine où elle allait faire paître ses brebis et chèvres.
Il se lia avec elle en dépit de la réticence des siens. La
fille assez jolie aux formes enchanteresses se savait irrésistible
et put épouser l’homme qu’elle voulait. Hors, voici que
la vieille Hadda aux tatouages séculaires allait tout mettre en route
pour arriver à ses fins, elle voulait tant sa petite nièce,
la fille de sa sœur comme bru…..cette étrangère
s’en ira aussi vite qu’elle était arrivé. Passé
l’enchantement du moment….le mariage battait des ailes. Il suffisait
de peu pour répudier sa femme et Boubchir, garçon doux encore
attaché aux girons de sa mère, la reine en définitive
de son coeur redevint le fils de sa mère. Sa femme rentra chez elle,
emportant avec elle son amertume, sa fillette de quelques semaines et surtout
sa jeunesse, celle qui attira sur elle l’attention d’un autre
homme qui n’hésita pas à l’épouser. Boubchir
ne put contenir sa jalousie. Il voyait la femme qui était sienne
s’épanouir, devenir plus belle encore. Il se mit à l’épier,
le soir venu caché dans les fourrées, auprès de son
foyer. Surpris par le mari de celle-ci plusieurs fois…plusieurs soirs
de suite, par crainte, il préféra se séparer de la
femme de Boubchir qui tournait trop autour de sa maison. Mais la renommée
de la femme avait déjà attiré d’autres prétendants
et elle ne tarda pas à se retrouver à nouveau mariée.
Ce qui déplu à Boubchir qui avait sans doute souhaité
la reprendre mais n’osait défier l’autorité maternelle.
Un soir ne pouvant plus contenir toute sa jalousie lui qui ne dormait plus…ne
mangeait presque plus…devenait coléreux et impatient décida
d’aller voir son ex-femme. Il voulait voir sa fille disait-il en frappant
à la porte de celle-ci. Et sans attendre davantage Boubchir tua sa
femme.
Soir d’automne d’un 1924 la nuit tombait sur le village…les
roumis étaient venus disaient-on pour prendre Boubchir à sa
mère, lui qui avait pris la mère à sa fille.
REINE…TRAHIE
Dans cette Cirta maudite
Elle était restée dans l’ombre des siècles durant… l’histoire n’ayant retenu d’elle que cette histoire de trahison…..où ce qui se dit dans les livres d’histoire. Son nom de fleur….d’étoile…Sophonisbe, enchanteur, fort de la force de Massinissa, le grand Aguellid berbère qui put réunir autour de lui les puissantes tribus berbères pour venir à bout des invasions meurtrières des romains, son roi et mari. Elle était reine d’un autre roi aussi prestigieux mais son destin douloureux allait s’accomplir dans la mort… La reine d’on j’évoque la mémoire ne se définissait que face à Rome à laquelle elle vouait une terrible haine. Dès son jeune âge, la princesse Carthaginoise savait que son unique ennemi était Rome….et allait être élevée dans ce sens…jusqu'à son dernier souffle, elle n’eut que cette évidence en tête. Plus tard, séduits par son destin passionnant, nombreux sont les poètes grecs, romains et autres tels que l’italien Trissino, Montchrestien, Pierre Corneille, Voltaire qui ont fait de sa palpitante vie bien d’actes pour leurs tragédies.
Dans cette
vieille cité, capitale de la Numidie, perchée au sommet d'un
rocher comme un nid d'aigle, dans cette fameuse Cirtha qui en avait déjà
vu bien des sièges et des cruautés Sophonisbe, apprit en ce
jour néfaste de l’an 203 av.J.C….tout à la fois
que son mari était mort, qu’elle était veuve puis à
nouveau reine de Numidie. Cela faisait trop de choses pour le corps frêle
drapée dans ses soieries ce poids de l’histoire….la femme
ne savait plus que penser…s’affliger de la perte…se réjouir
de son mariage avec Massinissa…..Oh ! Massinissa, celui qui apparaissait
dans ses rêves de jeune fille, habillé en guerrier farouche,
yeux noirs et taille haute…n’as-t-elle pas aimé autrefois,
cet homme ? N’était-elle pas sa promise….
La grande salle du palais de Cirta avait revêtu son visage des heures
glorieux. Dehors les énormes feux flambaient, consumant ce qui restait
encore sur le champ de bataille. Massinissa régnait à nouveau
en maître absolu, après sa longue traversée du désert…après
avoir perdu le royaume de son père Gaia….les successions s’étaient
faites dans le sang et la haine obligeant Massinissa à livrer une
lutte sans merci pour récupérer son trône d’abord
contre les troupes de l’aventurier Macetulo qui avait pu rallier à
sa cause Syphax qui lui aussi rêvait de régner sur la Numidie
et sur le cœur de Sophonisbe bien sur. Il vainquit Macetulo et récupéra
le royaume de son père, alors que la lutte avec Syphax ne faisait
que commencer. Celui-ci, poussé par Hasdrubal, attaqua et poursuivit
Massinissa avec acharnement, l'obligeant à se replier dans les zones
montagneuses sans pour autant arrêter les combats. Le destin allait
sans répit le mettre face au roi Syphax. N’est-ce pas lui qui
lui usurpa le trône de son père ? L’amour de sa vie aussi
et le doux sourire de sa bien aimée Sophonisbe ? Le Carthaginois
Hasdrubal, Le père de cette dernière ne tint pas compte des
liens passionnels qui unissait alors le fougueux Massinissa à la
délicieuse Sophonisbe. Sa fille n’était qu’un
objet entre ses mains, il préféra la donner en mariage à
Syphax l’obligeant ainsi à devenir son allié. Trompé,
blessé, Massinissa s’allia alors à leur ennemi Scipion…et
l’histoire nous apprendra que Massinissa vint à bout de Syphax
dans cette ultime bataille et qu’il le livra à ses ennemis,
les romains qui étaient bien installés dans cette Numidie
qu’ils avaient envahi, construisant des forteresses et des fortins
infranchissables. L’imminence de la guerre en Afrique se précisant
allait obliger les deux monarques à revoir leurs stratégies
; Hasdrubal obligea Syphax, en le mariant à sa fille Sophonisbe,
à se ranger à ses côtés. Afin de pouvoir récupérer
le royaume de son père réduit par Syphax, Massinissa se rangea
aux côtés de Scipion. Ce soir tout était oublié…juste
cette nuit, l’Aguellid avait droit au repos…..hélas le
messager qui se hâtait vers sa demeure, se frayant un chemin parmi
les guerriers du roi qui festoyaient, fêtant encore la défaite
de Syphax dans les dédales tortueuses de la cité, avait le
regard sombre, il n’était autre que le lieutenant de Scipion
et se nommait Laelius. Ce qu’il apportait au roi n’était
guère réjouissant et plutôt il se déchargerait
du message….plutôt il se sentirait bien. Il savait qu’il
ne pouvait rien, qu’il se devait de transmettre sa missive….le
palais était obscur se soir-là, Massinissa se reposait auprès
de Sophonisbe….la belle aux cheveux défaits était enfin
à lui….il était encore amoureux, complètement
épris et il n’avait pas hésité de la prendre
pour épouse, le soir même où la cité tombait
entre ses mains. Il l’aimait certes, et voulait aussi la protéger
des romains. Or ce que le messager lui apporta ce soir allait le jeter dans
le désarroi. Sophonisbe avait vu sa destinée dans le regard
noir de Laelius. Celui qui allait devenir un puissant souverain, régnant
sur l’Afrique du Nord, imposant son autorité depuis la frontière
Tunisienne jusqu'à la Moulaya allait connaître une autre, défaite….encore
une…très pénible, l’enjeu encore une fois était
la belle Sophonisbe. En voyant s’approcher d’elle le lieutenant
de Scipion, Sophonisbe savait que c’était fini d’elle,
elle tourna son visage impassible vers son mari et roi et lui dit d’une
voix digne « J'ai cette consolation dans mon infortune, qu'ayant toujours
eu une haine inconciliable pour la tyrannie romaine, j'ai du moins cet avantage
de n'avoir été captive que d'un Numide, et de ne l'avoir pas
été d'un Romain; mais d'un Numide encore, qui est mon mari
et mon libérateur, et dont je n'ai pas plutôt été
esclave que j'ai été maîtresse absolue de son âme.
Allez donc, mon cher Massinissa, et ne manquez pas de tenir votre parole
à l'infortunée Sophonisbe qui attendra avec beaucoup d'impatience
la liberté, ou le poison » Le poison obtiendra la femme, princesse
déchue, reine perdue….la haine…l’amour…
L’histoire dit que Massinissa sacrifia sa reine à ses ambitions….ne
pouvant tenir tête à Scipion, il lui envoya le corps de sa
bien aimée… Sophonisbe avait absorbée la coupe de poison
que Massinissa lui avait présenté le soir même de leurs
noces.
QUAND
RHIOUA CHANTAIT
LE ROYAUME DE FATMA TAZOUGUERTH (la rouge)
Qui marcha sur les traces de la reine Dihya des siècles plus tard sur cette même terre de Berbérie aux multiples gorges escarpées ? Unique femme dit-on qui a su régner justement, après Kahéna….Dihya ou Démia avec majesté sur les Aurès et perpétué le matriarcat, rendant grâce à la femme et la hissant au rang de guerrière intrépide. Qui était donc cette femme qu’honorent les « Rahabas » chanteurs chaouis exclusivement virils ? Les contes aussi la disent cette femme à la chevelure flamboyante ayant vécue plus de cent ans. Fatma Tazouguerth disait-on, était née en 1544 dans la montagne de Hitaouine à Merouana dans les Aurès Inférieures. Les chants chaouis préserver oralement glorifient aujourd’hui encore cette femme qui est passé d’un siècle à un autre grâce à eux :
«
Tazoughert Reine des Aurès
L’aphrodite, l’autre déesse
Se baigne dans le lit envoûté de Tifouress
Dans un insolite corsage liquide faiseur
De l’historique copulation »
L’histoire ne dit pas d’où lui vient le royaume à la belle rousse. Etait-elle la femme d’un roi devenue reine après son veuvage ? Avait-elle hérité le royaume de son père ? Dans les vallées et les plaines qu’elle avait parcourue, guerrière farouche sur son cheval intrépide, la reine Fatma unifia sur son passage tribus arabes et berbères, amies et ennemies….sa confiance alla plus aux femmes avec lesquelles, elle constitua et exclusivement le conseil des sages. Pourtant la trahison allait couper sa route…la mort allait guider sa main même si celui qui périra par son épée n’est autre que son frère Zoltan….celui qui a osé contesté en publique ses décisions…plus tendre à l’égard du frère cadet, elle le poussa à l’exil….Sellam peut-être l’image du père…fort qui l’éleva au rang de reine.
«
Hommage à vous, Fatma Tazoughert
Hommage à vous, Maîtresse de la fécondité
Hommage à vous, reine des cieux et des terres »
Celle qui composa ses vers n’est autre que la compatriote de Fatma Tazoughert, beaucoup plus contemporaine, l’une de ces poétesses chawis, oubliées qui a su par la parole et le geste lui rendre hommage à sa manière. Lalla Khoukha Rhioua Boudjenit née en 1904 dans la montagne de Hitaouine (Merouana) à une cinquantaine de kilomètre de Batna. Rhioua née dans une famille de terrien riche apprit très tôt à monter à cheval, à chasser, à sculpter mais c’est surtout la poésie qu’elle affectionna au point de ne plus dire un mot sans vers, sans proses se constituant au fil du temps, un riche répertoire. La petite fille, blonde aux yeux verts alla à l’école à Batna, dans un internat, vœu insistant de son père, Belkacem qui tenait à ce qu’elle s’instruise mais après la mère du père, la fillette dût s’accrocher terriblement pour pouvoir continuer et ira au collège de Constantine. D’un tempérament rebelle Rhioua avait tous les caractéristiques d’une pure Chaouia, dignité…entêtement…originalité mais surtout hospitalité et humanisme. Elle épousa un cousin, ne dérogeant point aux coutumes, même s’il était de vingt ans son aîné : elle écrivit en français, en berbère, racontant souvent avec courage et sobriété, la vie des siens à travers sa propre existence, mais surtout un pays sous le joug colonial, un pays enchaîné depuis des siècles, une colonisation sans cesse renouvelée Romains, Byzantins, arabes, français….Révoltée, elle écrit en 1954
«
Je suis orpheline sur ma propre terre
L’air que je respire sent le vin et le sang
Partout, il y a des cris, des chaînes et des fers
Soumise, Je ne puis demeurer plus longtemps
Pardon amies d’enfance »
------------------------------------------
« Mais mon pays c’est mon drame,
Car mon pays c’est mon âme »
C’est bizarre que parfois, l’histoire d’un pays se trouve usurpée, et parfois des hommes et femmes soient effacés, entraînés dans une amnésie qui devient vite oubli. J’ai beaucoup cherché pour retrouver quelques faits liés à ces vies, pour retrouver ces parfaites inconnues, ni enseignées dans les écoles ni chantées dans les cercles culturels. Jusqu'à là, ma terre natale me paraissait bien stérile, moi qui suis née au pays des Chaouias j’étais ignorante de cette histoire, depuis, dès que j’ai pu et compris surtout, je vais de surprise en surprise. L’écriture de cet ouvrage m’a permis un retour sur une terre non pas « négligée » mais effacée devant d’autres obligations….J’ai entrepris cet ouvrage comme un voyage et je n’étais plus seule pour mes aventures si aventures y est, sur cette terre où l’histoire s’est incrustée, s’imprégnant sur les rochers des Aurès…..toutes ces citations, des inscriptions latines racontant des noms puniques ; Namphamo, Barigbal, Boumilcar….dans ces régions qui n’ont jamais été soumis à Carthage….inutile de chercher le nom de Khoukha Rhioua ; La belle aux yeux verts, à la voix de velours demeure inconnue chez-elle, pourtant contemporaine, morte en 1963. Maintenant que je sais, je me souviens que j’ai toujours eu sur les lèvres ce refrain populaire, que j’entendais chanter dans les fêtes, je le pensais anonyme…les gens le chantaient mais savaient-ils de qui il est ? Peu probable.
«
Akard Anoughir Lève –toi pour partir
Dhou guabaad ou’brid Le chemin est long
Jer Menna dhou chir Entre Menna et chir
Akerd Anouguir Lève –toi pour partir
Youmem ath yahbel » Ton frère est envoûté »
Tant de
dérives dans ce pays….une mémoire effacée…des
faits raturés….l’histoire falsifiée…à
quel dessein ? Moi qui me cherche, me retrouve pourtant au détour
d’une page de manuscrit dépoussiérée….me
retrouve sur ces visages familiers….ils sont miens et je suis la leur….bribes
de vie….relatés….racontés sous le voile…d’une
plume hésitante…les tribus avaient disait-on leurs poètes
et chaque poète se rattachait à une tribu, il louait les siens,
chantait sa race, les femmes, l’amour, les ancêtres….les
poètes partaient en guerre côte à côte avec les
guerriers, ils utilisaient des pamphlets contre leurs ennemis….Sait-tu
que les Aurès étaient le pays des poètes, il y a eu
les poètes romantiques, les poètes penseurs, les poètes
guerriers, les poètes courtisans, les poètes….et les
belles poétesses de « Therwent-er »
Rhioua chantait :
« Que veux tu de moi/Qui ne possède rien
Pourtant/Prend ce que tu veux
De ma bouche »
Dialogue
hors du temps….dialogue entre femmes ; par bribes de souvenirs…une
passerelle pour la mémoire…pour Fatma Tazoughert qui n’apparaît
point dans les livres d’histoires, rejoignant dans l’oubli cette
Lalla Fatma N’soumer ainsi que bien d’autres, pour lever le
voile pour éclairer le temps, rayonner sur les crêtes enneigés
des monts Chélia et Djurdjura pour une commune histoire, car voici
venir le temps de la révolte…voici venir pour nous Fatma Tazoughert,
celle qui hérita de sa bien aimée mère Adhfella toute
la science et la magie qui furent d’elle une bonne guérisseuse
et une prêtresse redoutée. Quand elle arrivait sur les champs
de batailles, habillée en fantassin lourdement armé, elle
imposait respect et crainte. Les autres femmes encouragées par leur
reine se battaient durement en lançant ces youyous stridents, cris
de guerre, cris de mort disait-on. La légende parfois emboîte
le pas à la réalité….et on retrouve sa trace
au abord des villes de Marrakech, de Meknès et de Fès qu’elle
réussit à prendre disait-on en 1566.
Forcement elle était belle la reine chawi au point où des
guerriers se disputaient ses faveurs et elle fut mère disait-on de
dix-sept enfants. Un script avait sans doute écrit les prouesses
de la reine….avait suivi ses expéditions, notant minutieusement
les faits les gestes…des poètes, certes l’ont chanté…n’est-ce
pas le pays de l’oralité. La reine méritait pourtant
un script, n’a-t-elle pas été la légende rousse
? La légendaire rousse, dirais mon ami, lui qui excelle dans l’exhumation
d’histoires anciennes. Connais-tu l’histoire de cette reine
?
Ses mains habiles savaient tressés les tapis, les burnous- ajridi-
les authentiques et savaient montés si bien les chevaux avec habileté
et grâce. Ses ennemis la craignaient et ses amis l’adulaient.
L’histoire s’arrêta là…pas plus…pas
un souffle, pas un écrit….le secret se referma sur sa personne…..Elle
qui inspira le grand poète El Mejdoub né à Tit, sur
la bordure du Maroc Atlantique, entre El Jadida et Azemmour.
QUAND
CANROBERT S’EN MELE…
SANG DE NARA ET POESIE D’ANNA
Alger était
prise, ouverte, offerte aux Français ce 13 juin 1830, les flottes
avaient déversé leurs soldats sur la côte algéroise
et Staoueli devint vite une garnison française refermant l’étau
sur la blanche cité. Les incursions à l’intérieur
du pays provoquaient des insurrections et l’Aurès s’était
insurgée à son tour, après Mascara, Oran, Constantine…..
Il y avait alors cette petit ville, perdue dans la vallée de l’Oued
Abdi….protégée jusque là par ses marabouts et
ses saints….Nara se confondait avec Zaatcha dans une résistance
farouche, si l’une a survécue, l’autre fut détruite
et ne sera jamais reconstruite, seule une plaque sur la route Biskra Tolga
indique: " ZAATCHA 1849 ". Elle était née à
Batna, puis grandit à Menaâ la magnifique qui trônait
sur ses vergers au milieu d’un impressionnant cirque de montagnes,
elle Colette la fille d’un instituteur français exactement
81 ans, après que l’autre village…Nara l’insurrectionnelle,
la rebelle fut détruit, rasé, ses hommes tués, ses
enfants et ses femmes éparpillés par les soldats français
du Colonel Canrobert. Nara haut lieu des Aurès, à moins d'une
heure de marche à l'est, dans les gorges du djebel Lazereg, haut
perchée sur son rocher, et qui donna fort à tordre aux français
qui arrivèrent à ses pieds en ce rude janvier 1850 après
avoir fini avec la glorieuse Zaâtacha. Le colonel Canrobert se trouva
après son action d'éclat détenteur de la croix de Commandeur
de la Légion d’Honneur et les étoiles. Il avait à
peine 40 ans et rien ne pouvait entraver ce chemin qui l’auréolera
de gloires, pas même l’extermination de tant de populations.
Enfant espiègle, cheveux coiffés en tresses rebelles, soulevées
par sa démarche souple, la fillette humait les parfums des lauriers
roses qui bordaient l’oued fécond qui clapotait sur ses pieds
menus. Dans sa tête grandissait cet amour du pays qui arma sa patience
et sa plume qui quelques années plus tard, elle allait écrire
rejoignant d’autres poétesses chawis dans cette affirmation
identitaire complexe.
«Mon enfance et les délices
Naquirent là
à Menaâ, commune mixte d’Arris.
Et mes passions après vingt ans
sont le fruit de leurs prédilections »
En cette
aurore de double découverte, quand crispée, les mains entourant
ses genoux, elle rêvait de Menaâ dans cette prison hostile de
Barberousse…condamnée en 1957 pour avoir dit non à la
colonisation de la France au martyrs des siens….par les paras de Massu
qui fera parler de lui durant la bataille d’Alger. Colette choisissant
un nom de plume, juste la moitié de son prénom composé….juste
Anna, et elle rêva la belle à son ciel azuré, et dans
ses cheveux s’ourlaient les tiges odorantes d’Azir (romarin).
Se souvenait-elle de cette toute première fois où elle allait
à l’école dans ce village Chaouia, elle la fillette
française rejoignant d’autres enfants différents, et
c’est de cette différence qu’était née
l’autre Anna. Un homme aussi était né justement de cette
différence ou de cette indifférence à quelques pas
de Menaâ. En mai 1849, l’homme avait surgit d’entre les
entrailles de Zaatcha, l’oasis rouge pour enflammer la population
surexcitée qui l’attendait lui qui leur assura être «
Inspiré de DIEU ». Bouziane, se prénommait l’homme,
porteur d’eau autrefois, cheikh de Zaatch du temps de l’Emir
Abdelkader marabout disait-on de lui, auréolé déjà
de gloire…N’a-t-il pas repoussé en 1833, l’assaut
des 4000 hommes commandé par le Bey Ahmed venu de Constantine ? Il
avait sa réputation à tenir, et les rumeurs qui courraient
dans les palmeraies faisant de lui « El Mehdi » l’envoyé
- un peu le Christ qui descendrait sur terre –
D. A.
Nouari
Nezzar
“Nous sommes des sans-papiers dans notre propre pays”
C’est un documentaire télévisuel sur le défunt peintre Cherif Merzougui, qui a fait connaître au public le jeune Nouari Nezzar aux débuts des années 1980. Ses chansons, des ballades interprétées à la guitare sèche, avaient servi de bande sonore et révélé, du même coup, un artiste au cachet musical très original. Depuis, en vingt ans d’une carrière plutôt discrète, ce perfectionniste qui n’arrête pas de faire de la recherche n’a produit qu’un seul album. Au grand dam de ses admirateurs. C’est peut-être peu, mais suffisant pour influencer toute une génération de jeunes chanteurs en mal de modèles et qui ont repris sa technique de guitare et sa manière de chanter. Il nous a reçus dans son petit studio, un modeste local beaucoup plus encombré par du matériel informatique que par les instruments de musique, et nous a interprété à la guitare quelques-unes des nouvelles compositions qui devraient figurer dans l’album qu’il compte sortir au printemps. Verdict : du très bon rock-folk chaoui comme on aimerait en entendre un peu plus souvent. Nouari nous a également entretenu des nombreux écueils que rencontrent ceux qui, vaille que vaille, tentent de sauver un patrimoine artistique et culturel menacé, tout en essayent d’inscrire la musique chaouie dans l’universalité.
Liberté : Nouari,
pourquoi ces dix ans de silence ?
Nouari Nezzar : En fait, je n’avais rien à dire à
mes compatriotes chaouis et pour dire vrai, la majorité a été
emportée par le style “arrassi”, le style fêtes.
C’est un style
qui vous révolte ?
Non, du tout. Je demande ma part, c’est tout, même si je suis
étonné que tant de gens partagent ce “mauvais goût”.
Je me pose la question de savoir s’il n’y a plus un public
qui veut écouter de belles choses.
Oui, mais ceux qui
faisaient autre chose que le “arrassi” n’ont rien produit.
Vous avez laissé le champ libre.
Non, nous n’avons pas laissé le champ libre. D’abord,
il faut comprendre une chose, nous sommes des musiciens, des compositeurs-chanteurs.
Nous ne sommes pas des éditeurs, et les éditeurs, eux, demandent
des trucs faciles et populaires. Cela dit, c’est un genre que je
respecte énormément. J’ai travaillé, entre
autres, pour cheb Aziz, que Dieu ait son âme, et je lui ai fait
de belles choses, et à ce propos, dans le deuxième album,
j’ai fait toutes les chansons paroles et musiques dont la chanson
Rahou djani khebrek a été reprise par, entre autres, Khalass
et Aârrass sans même mentionner le nom du compositeur. Je
condamne ces gens qui pillent le travail des autres, sans même mentionner
le nom de l’artiste qui a produit l’œuvre.
Sinon, y aura-t-il
bientôt un nouvel album sur le marché ?
Oui, je compte sortir un nouvel album d’ici le printemps prochain,
si mon travail me laisse un peu de temps libre, car il faut bien vivre.
Ce sera un travail fidèle à mon style, du rock-folk chaoui,
mais avec des sonorités résolument modernes. Je peux vous
dire que j’ai fait beaucoup de recherches et j’ai mis à
profit cette période d’hibernation pour m’initier à
l’informatique musicale. L’informatique met à la disposition
des artistes un outil extraordinaire avec des sons professionnels. C’est
là que le mot liberté prend tout son sens. Tu n’es
plus tributaire de musiciens approximatifs ou qui ne viennent aux répétitions
que quand ils le veulent bien.
Quelles sont les influences
qui ont façonné le style Nouari Nezzar ?
Je vais peut-être vous étonner, mais mes premières
influences, c’est Abdelhalim Hafez et le charqi en général,
mais étant donné que c’est toujours la même
rengaine, je m’en suis vite lassé. Dans les années
1970, on m’a offert un magnéto 4 pistes avec une bande, où
étaient enregistrés tous les tubes du siècle. J’ai
alors découvert presque toute la musique de l’époque
: le jazz, le rock, les Beatles, James Brown et tous les autres. Il y
a également toute la chanson populaire algérienne qui m’a
influencé, Cheikh Hamada, Aïssa El Djermouni, Beggar Hedda,
Guerrouabi et d’autres encore.
Et ton jeu de guitare
alors, de qui t’es-tu inspiré ?
Pour le jeu de guitare, c’est une technique très personnelle
que j’ai développée à force de jouer. Je n’ai
jamais écouté quelqu’un pour l’imiter, je suis
trop fainéant pour ça. Je suis mon instinct et je développe
la rapidité et la dextérité.
Est-ce que tu vois
une relève quelque part dans la chanson d’expression chaouie
?
(Moment de réflexion) Non, je ne vois personne. Même ceux
qui ont commencé à chanter en chaoui, ils se sont mis à
chanter en arabe, comme Massinissa par exemple. Les gens, maintenant,
fuient la chanson d’expression chaouie, car ils pensent qu’elle
va les cantonner dans un ghetto, donc pour toucher un plus grand public,
ils chantent en arabe.
Oui, mais vous, les
pionniers de ce genre, vous avez manqué à votre devoir de
présence. Vous vous êtes tu pendant toutes ces années.
Le problème est que nous n’avons pas de mécènes.
Nous n’avons pas non plus d’éditeurs ni de producteurs.
Les éditeurs qui existent ne sont intéressés que
par l’argent. J’ai été, en 1982, le premier
à chanter en chaoui à la télé et quand je
dis chanter, ce n’est pas les deux ou trois mots que l’on
jette comme ça, du genre “ekker annouguir” pour amuser
la galerie. J’ai été expressément fier d’avoir
chanté en chaoui à la télévision nationale
pour nos vieux et nos vieilles qui étaient contents d’entendre
leur langue maternelle pour la première fois à la télé.
Nous, les chanteurs chaouis, nous sommes des sans-papiers dans notre propre
pays. Nous sommes boycottés. Nous ne passons nulle part, nous ne
sommes invités nulle part. Même au festival de Timgad, qui
se passe pourtant chez nous, on préfère inviter des vedettes
orientales. Nous remercions au passage la télé pour la large
part qu’elle fait à la chanson chaouie. Elle nous passe un
tas de trucs égyptiens, alors que la télé égyptienne
ne passe jamais nos artistes. Ah, au fait, en ce qui concerne mes influences,
j’ai failli oublier Idir. Monsieur Idir, à qui je rends un
grand hommage en cette occasion.
Un dernier mot ?
J’ai compris une chose : maintenant, je travaille pour mon public.
Entretien réalisé par D. A.
Djamel
Sabri et les Berbères
“Nous sommes pour l’union dans la diversité”
Djamel Sabri, Joe
pour les intimes et les nombreux fans, est un véritable personnage
qui laisse rarement indifférent. Avec son groupe, les Berbères
— qui vient de produire un quatrième album intitulé
Silineya —, il a connu son heure de gloire lors d’un passage
télé où son interprétation d’El-Bachtola,
l’une de ses chansons fétiches, a fait merveille. Cependant,
ce rebelle, qui a choisi le rock pour crier sa révolte, s’est
engagé très jeune dans la défense de la culture de
ses ancêtres. Il a osé chanter tout haut ce que les autres
pensaient tout bas. Ce geste lui a valu son exclusion du lycée
en tant qu’élève et plus tard en tant que prof avec,
en bonus, les gardes à vue, les convocations, les intimidations
et autres brimades que l’on réservait, à l’époque
du parti unique, à ceux qui avaient le toupet de réclamer
leur langue maternelle ou de contester l’idéologie arabo-baâthiste
du régime. Mais il ne faut pas trop se fier à son look de
rocker. Si sur les planches, c’est une véritable bête
de scène qui galvanise son public à la manière d’un
Mick Jagger qu’il admire encore, en privé, l’homme
se révèle profondément religieux et entend vivre
sa spiritualité, y compris dans sa musique. De ses différents
passages en Kabylie, où il s’est produit avec Ferhat, Ideflawen
et d’autres encore, Joe garde des souvenirs impérissables.
Notamment, le concert avec Matoub Lounès et tout le stade qui reprenait
en chœur l’indémodable Yemma El-Kahina. “Les artistes
ont fait beaucoup pour le rapprochement entre les communautés.
Entre frères berbères et entre frères algériens.
Nous avons notre propre culture et elle n’est pas orientale”,
dit-il. “Nous sommes pour l’union dans la diversité”,
ajoute-t-il.
Chez lui, à Oum El-Bouaghi, où nous l’avons rencontré,
il nous a reçus dans son local, son jardin secret qu’il appelle
affectueusement “mon temple”.
Liberté : Joe,
cela fait un moment que je t’écoute et je suis frappé
par le pessimisme et le manque total d’espoir qui émanent
de toi.
Joe : Eh oui ! C’est la réalité. C’est ce que
je vis depuis plus de 20 ans maintenant. Bon, c’est quand même
bien quand tu entends qu’on enseigne tamazight à l’école.
ça aurait pu être fait il y a longtemps, en 1962 et même
avant mais… On avance lentement mais sûrement. En tout cas,
à dire vrai, je me sens blasé. On a beaucoup de manques
quand tu vois la réalité en face mais on fait avec. On a
pu composer avec. On a fait ce qu’on a pu. En 20 ans, nous avons
produit quatre albums avec lesquels on s’est fait connaître
au niveau national et même ailleurs, comme en France. Tu sais, les
gens savent faire la différence entre les artistes et les “pochistes”.
Le marché de ces dernières années, c’est de
la prostitution de l’art. Ce qui marche, c’est ce qui fait
danser. C’est la danse du ventre. Il n’y a jamais eu de producteurs
chez nous. La culture du producteur et de l’impresario n’existe
pas. Il y avait dans le temps un super gars qui s’appelait Toufik
Badis, mais, hélas, il est sorti du circuit.
Dis-moi Joe, tu ne
penses pas que la chanson d’expression chaouie est un peu en régression
après l’explosion qu’elle a connue il y a de cela quelque
temps ?
C’est vrai que, relativement, il y a eu régression. Ceux
qui ont repris le flambeau après nous, par recommandation de leurs
producteurs, ont fait autre chose. Ils leur demandaient de suivre la demande
du grand public. Pour eux, le grand public n’est pas que d’expression
chaouie, il s’exprime aussi en arabe dialectal. Peut-être
que c’est une politique, je n’en sais rien. Ils disent que
le public est hétéroclite, donc il faut donner du mélange,
ce dont j’ai horreur. Je préfère donner ce que j’ai
dans ma langue maternelle. Là ce n’est plus de l’art
mais une politique commerciale. C’est bassement matérialiste.
on lance n’importe qu’elle mélodie et on produit comme
ça à la va-vite 4 ou 5 albums par an. Ce n’est pas
le cas de la musique d’expression chaouie. En plus, nous, non seulement
on fait de la musique d’expression chaouie, mais en plus de la poésie.
El Hadj Tayeb (ndlr : le parolier du groupe) est un poète. Nous,
contrairement aux autres, nous ne cédons pas à la facilité.
Chanter en chaoui,
c’est aussi, quelque part, mener un combat identitaire, non ?
La peau ! C’est ça ta peau ! c’est ce qui fait que
t’es arabe, kabyle, chaoui ou autre. Nous sommes pour l’unité,
pour l’union, et non pour la division. Nous sommes pour l’union
dans la diversité. C’est ce qui fait la richesse des autres
pays. Qu’on le veuille ou non, le kabyle, le targui, le chaoui…
existent. Ce sont toutes ces composantes qui font le corps de l’Algérie,
qui sont le puzzle de ce pays, qui n’est autre que de culture amazigh
à bien y réfléchir. J’ai débuté
à l’âge de 17 ans et j’en compte aujourd’hui
45. Ce n’est pas à cet âge que je vais changer.
Il faut être
conséquent avec soi-même…
Ben, oui ! J’aurais peut-être pu changer à l’adolescence,
l’âge où on est énormément influencé,
mais en fait on ne change pas beaucoup à part dans la sincérité
de ce que l’on fait. Je parle de la sincérité de la
personnalité du personnage, qu’il soit artiste ou autre.
Toi, Joe, tu es l’un
des rares à avoir gardé vaille que vaille le cap du rock,
de tes influences. C’est une forme de fidélité, non
?
Oui, oui. Nous avons subi les influences de l’époque et à
l’époque, c’étaient le blues et le rock. C’étaient
Muddy waters, Led zeppelin, Jimmy Hendrix, les Stones, Joe cooker, les
Who… C’étaient toute une culture et un mode de vie.
Ma musique n’est pas carrée, il faut qu’elle soit triste.
Elle doit parler au cœur. À l’âge de la maturité,
je veux palper la guitare à la manière d’un Keith,
d’un Lou Reed ou d’un Hendrix. La guitare, c’est une
partie de moi-même, c’est un cinquième membre. Je m’exprime
complètement avec cet instrument.
La musique chaouie
est très proche du rock par le rythme et le tempo et ce que tu
fais, toi, c’est profondément chaoui, mais c’est rock.
Ben oui, parce que ce que tu fais tu dois le balancer dans un style. Tu
as l’originalité de la mélodie et les paroles d’expression
chaouie. À bien regarder, le chaoui, où est-ce qu’il
vit ? dans un univers rocailleux, aride, il vit dans la montagne. Que
veux-tu qu’il en sorte si ce n’est du rock.
À un moment
donné, on s’attendait à ce que cette musique décolle
véritablement…
Oui, il y a eu des voix, celles des Berbères, de Nezzar et autres,
mais il n’y a pas eu de grands producteurs derrière pour
prendre en charge les artistes. À l’Est, ça manque
totalement.
On ne t’a pas
vu à la télé depuis belle lurette…
Cette fois-ci, on va essayer de faire un passage avec le nouvel album.
On est là depuis 20 ans et on peut encore chanter. On persiste
à exister. On n’est pas nocifs, on ne fait pas de mal. On
est des gens simples et on accepte les autres pourvu qu’on nous
accepte sans haine. C’est la richesse de ce pays. Voilà notre
message. Peut-être qu’un jour il y aura des génies
dans ce pays…
Si on leur donne l’occasion
de s’exprimer…
Oui, bien sûr, et aussi si le type qu’il soit artiste ou autre
est sincère. Si tout le monde part, qui va bâtir ce pays
?
Tu n’as plus
la flamme sacrée ?
La flamme existe, mais la seule voie dans laquelle je veux continuer est
la voie de Dieu, celle du Coran. Demain, je ne le connais pas. Je marche
comme le veut Dieu. Peut-être que je donnerais encore plus. La flamme
je l’ai toujours dans le cœur. Je sais que beaucoup de gens
placent encore leurs espoirs en nous. Je sais que pour eux on représente
quelque chose et je ne veux pas les décevoir. Je n’ai pas
changé de route, mais je veux être dans ma voie spirituelle.
Est-ce que tu vois
une relève quelque part ?
Non, non. Je ne vois aucune relève. Personne ! C’est le règne
de la foutaise et des “pochistes”. La course vers le fric
et le matos. La musique n’a plus rien de spirituel, de culturel.
Elle n’exprime plus l’âme du peuple. Ce n’est
plus de la musique engagée. Les gens qui sont comme nous sont rares.
Je parlerai peut-être de Nouari (NDLR : Nezzar Nouari), mais il
ne produit plus rien. Il a des gosses, un studio, il travaille. Probablement,
c’est ce que lui veut faire, mais ce n’est pas vraiment ça
; il est obligé. Il faut bien vivre.
Un dernier mot, Joe…
Passe un grand bonjour aux lecteurs de Liberté et à Farid
qui nous appelait les Navajos, un nom que j’aime bien. Moi, franchement
je ne sais plus si je vais continuer… même si je n’ai
pas encore divorcé avec la musique. J’ai encore beaucoup
de morceaux enregistrés. Deux bandes complètes. C’est
mon jardin secret. Un jour peut-être j’en ferais part au public.
Entretien réalisé par D. A.
MASSINISSA
“On m’a traité de raciste parce que je
chante dans ma langue maternelle”
Un jour de l’année 1987, le village où habite le jeune Ali Chibane, qui n’a pas encore pris le pseudo de Massinissa pour chanter, se réveille bariolé de la fameuse lettre “z” en tifinagh, qui symbolise si bien la culture berbère. Des agents de “sécurité” ne tardent pas à arriver pour arrêter le jeune Ali et son ami Aïssa Brahimi, qui deviendra plus tard le parolier du groupe. Interrogatoires, coups et cellule pendant trois jours à Batna. “T’as quel âge ?”, interroge un officier le jeune Ali. “Vingt ans”, répond Ali. “Voilà, tu vas passer les 20 prochaines années en prison et tu sortiras à l’âge de 40 ans.” “Où est le problème ?”, rétorque Ali. Heureusement pour ses nombreux admirateurs et pour la chanson chaouie, ces 20 dernières années, Massinissa ne les a pas passées derrière les barreaux, mais derrière les micros, à chanter cette culture berbère qu’il revendique haut et fort. Et quand bien même l’album qu’il a produit en arabe est resté en travers de la gorge de ses nombreux fans, car cela a été vécu comme une “trahison” à “la cause” de sa part, il demeure l’un des meilleurs espoirs de la chanson auressienne d’expression berbère. Nous l’avons rencontré chez lui à Oued El-Ma, au pied des montagnes de Belezma, pour un petit entretien.
Liberté : Le
fait de chanter en chaoui ne te pose-t-il pas de problèmes ?
Massinissa : Si. On a même essayé de monter les gens contre
moi. On m’a traité de raciste simplement parce que je chante
dans ma langue maternelle. On a dit de moi que j’insultais les Chaouis
qui se sont arabisés et on m’a clairement dit : “Tant
que tu chantes dans cette langue, tu n’iras pas très loin.”
J’ai même reçu plusieurs lettres d’intimidation.
Tu passes facilement
à la télé ?
Ces derniers temps, cela se fait sans problème, mais dans les années
1990, c’était très difficile. Avant de passer à
la télé, on venait toujours vérifier le titre et
le contenu des chansons et on nous demandait de faire très attention
et d’éviter toute allusion à la politique. Il fallait
donc ruser. Expliquer que l’on chantait pour la paix, les fleurs,
l’amour, les oiseaux et tutti quanti, pour faire passer le message.
Ton dernier album
ressemble à un spécial fête. C’est quoi cette
histoire ? tu fais du “aârassi” maintenant ?
C’est vrai que je suis parti au studio avec des chansons très
différentes, huit au total, pour faire l’album. L’éditeur
a exigé d’autres chansons qui ne soient pas politiques. “On
veut du aârassi”, du “chttih, sinon on ne prend pas
ton album”, disent les éditeurs. Qu’est-ce que tu veux
qu’on fasse ? C’est plus fort que moi, c’est la vie
qui veut ça. J’ai passé des moments très difficiles.
Mon fils est tombé malade et je n’avais pas en poche le moindre
sou pour le soigner. C’est dur quand tu en arrives là. Nous,
les chanteurs d’expression chaouie, nous sommes boycottés.
Joe et moi sommes victimes d’un véritable embargo. J’ai
été obligé de faire un album en arabe pour vivre.
Je suis auteur-compositeur-interprète et je n’arrive pas
à vivre de mon art, mais heureusement qu’il y a les studios
privés sinon, avec les studios de l’État, on n’arriverait
pas à enregistrer la moindre chanson.
Par qui et par quoi
as-tu été influencé ?
Principalement par les Pink Floyd et on écoutait beaucoup avec
Joe Les Berbères et Idir. J’adore ce que fait Idir.
In
Liberte du 23/10/2003 http://www.liberte-algerie.com
Par : DJAMEL ALILAT
Le jour commence à peine à poindre lorsque, par une matinée
pluvieuse et brumeuse, nous quittons Batna pour un long périple auressien
afin de prendre le pouls du pays chaoui. La route monte rapidement. Au col
de Tizi n'Rsas, 1550 m d'altitude, succède celui de Thitt Oulodh appellation
arabisée en Aïn Ttin. 1805 m d'altitude et un paysage tibétain
où l'on s'attend à voir surgir de la brume une caravane de yacks
ou un cavalier mongole. Nous traversons Afra, le village natal de Ben Boulaïd
et Tibhirine, un autre col qui porte fièrement ses 1510 mètres
d'altitude. Au-dessous de la route, Ighzer Amellal est en crue, il a plu fortement
la nuit passée et il faut avoir l'œil bien perçant pour
distinguer Bacha, petit hameau accroché à la montagne, tellement
ses maisons de pierre se confondent avec le paysage rocailleux qui est le
sien. Plus loin, autre lieu-dit qui porte bien son nom, Tifartassine et ses
monts dégarnis. Nous arrivons à la mythique Arris qui se réveille
à peine en ce vendredi de brume et de froid. L'entrée de la
ville a été goudronnée et les bordures refaites sur quelques
centaines de mètres à peine. Renseignement pris, Boutef est
passé par là. Nous rencontrons des membres de l'association
Ighzer Amellal, du nom de cette rivière qui va de Chélia jusqu'à
M'chounèche, la porte du désert et qui arrose sur son passage
la vallée d'Arris. L'association s'occupe de culture et d'écologie,
en ce sens qu'elle se fixe comme mission de défendre la vallée
contre la pollution. Elle fait des conférences et des expositions et
elle a participé au dernier séminaire du MCB à Tizi Ouzou.
On commente la visite de Boutef dans la région. À Batna comme
à Arris, nous dit-on, on a tout fait pour donner l'impression que la
visite de l'auguste personnage a suscité l'engouement populaire. Rachid
Hamatou, un vieux routier de tous les combats démocratiques et identitaires,
s'insurge : “Ils ont essayé de monter les uns contre les autres.
C'est méchant de réveiller les vieux démons du tribalisme
en montant les tribus les unes contre les autres.”
Amar Brakni, un autre militant de la première heure nous explique ce
qu'il appelle le clapet anti-retour : on canalise les badaux vers le périmètre
de la visite de Boutef et quand y rentre on peut plus ressortir. Une vieille
technique pour donner l'illusion du nombre.
Arris, c'est un peu Aïn El-Hammam en Haute-Kabylie, même altitude,
même végétation mais sortis du centre, qui donne une impression
de relative prospérité, nous découvrons la misère
des vieilles maisons de pierre et des pistes boueuses ou poussiéreuses,
selon la saison.
À Tabendout nous nous arrêtons pour acheter des pommes. Sans
tambour ni trompette, toute la région est en train de devenir la capitale
algérienne de la pomme. On en produit de grandes quantités mais
il n'y a jusqu'à présent pas d'industrie digne de ce nom pour
la transformation de ce fruit. Tout au long d'Ighzer Amellal, les vergers
sont verdoyants et bien entretenus mais la vallée est tout de même
menacée par la pollution. Greenpeace connaît ce problème
grâce au site www.chez.com/aureschaouia installé à Paris
et cherche à le prendre en charge. L'organisation internationale s'intéresse
à cette vallée et ses problèmes écologiques que
l'État ignore.
Le pays des Palmiers
Nous arrivons aux gorges de Tighanimine, un autre site touristique tombé
dans les oubliettes de la République. Ici curiosité locale,
on prend son café parfumé à l'armoise, une plante aromatique
et médicinale omniprésente. Après Tighanimine, le premier
palmier ne tarde pas à faire son apparition pour nous indiquer que
nous rentrons dans son immense territoire. D'ailleurs, à partir de
Tifelfel, petit village aux couleurs ocres le palmier est roi. À T’kout,
par laquelle nous faisons un petit crochet, les graffitis annoncent d'emblée
la couleur politique. “Ulac Smah Ulac” ! Ici, le tifinagh est
partout et les archs ont pignon sur rue et la situation bien en main. Nous
rencontrons Fattah, l’Abrika local. C'est un jeune homme de 22 printemps
berbères au regard d'acier. Il a un look d'Indien Navajo et il porte
les cheveux longs comme son idole et ami Belaïd qu'il reçoit souvent
chez lui. Fattah s'est investi corps et âme dans le mouvement citoyen
et le combat des archs. Dernièrement, Abrika est resté trois
jours chez lui.
Ce n'est pas nouveau, il venait souvent ici dans les années 1995-96
avec Saddek Akrour, autre militant bien connu dans ces milieux, chez Tahar
Achoura, le frère aîné de Fattah mort d'un cancer le 25
mai 1996.
Lorsque ce grand militant de la cause berbère est mort, sur sa tombe
l'épitaphe a été écrite en tifinagh et pour la
petite histoire, les quatre imams du village sollicités pour la prière
du mort se sont débinés pour divers prétextes. Chez ces
gens-là, comme aurait dit Brel, on ne prie pour le repos de l'âme
d'un militarit berbériste. C'est aujourd'hui son combat que Fattah
continue. Cela lui confère sans doute une certaine légitimité
et un ascendant certain sur les jeunes du village regroupés au sein
de l'association Assireme Fattah est fier. Il a pu joindre à sa coordination
celle de Belihoud de Ghassira et Inoughissen, et également Ichemoul,
Bouzina et Manâa, mais T’kout, la rebelle, reste le cœur
de la contestation. Ici, d'ailleurs il y a eu des émeutes comme en
Kabylie et Fattah nous montre les photos aussi bien des émeutes que
de la marche qu'ils ont organisée lui et ses amis. À la venue
de Boutef à Batna et à Arris, la confédération
des associations d'Ighzer Amellal basée à T’kout a lancé
un appel pour le boycott de la visite de Boutef, mais pendant et avant la
venue du président, T’kout a été isolée
par des barrages de gendarmerie pour prévenir toute mauvaise surprise
venant de ces jeunes rebelles.
Nous quittons T’kout pour Ghouffi et ses fameux balcons. La magie de
ce canyon et de ses vieilles maisons accrochées à ses flancs
vous prend et ne vous lâche plus quand elle ne vous donne pas le vertige.
L'œuvre de la nature, qui a mis un peu plus d'un million d'années
pour sculpter ce paysage, a rencontré le génie des hommes qui
ont bâti des villages qui épousent parfaitement le relief et
se fondent en lui. Dans le lit du canyon coule l'Ighzer Amellal et une rivière
de palmiers. Mimouna Amar qui tient une échoppe de produits artisanaux
sur place nous entretient des 26 espèces de dattes que compte les palmeraies
en contrebas et des huit des tribus qui se sont partagé le site depuis
des temps immémoriaux. Les villages sont aujourd'hui déserts
mais il y avait là Ath Yidhir, Chorfa, Flous, Ath Bouali Ghrine, Ath
Mimoune dont il est issu, Boltith, Ath Mansour et Ath Yahia. Quant à
l'hôtel Transatlantique qui a été construit dans le même
style architectural que les villages qui l'entourent et ce, en 1902, il n'est
plus que ruines comme tout le reste. “De temps à autre”,
nous dit Amar, le gardien de ces lieux magiques, “il y a encore quelques
rares touristes occidentaux qui s'aventurent jusqu'ici mais ce n'est plus
comme au bon vieux temps de l'Onat et du tourisme où l'on recevait
tous les jours des centaines de touristes des quatre coins du monde.”
Et l'on reste là à contempler cet endroit féerique et
à se dire que, décidément, ce pays est tombé sur
la tête. Sinon, il n'aurait jamais laissé mourir ainsi un trésor
naturel et architectural pareil qui devrait tout au moins être classé
patrimoine national à préserver à défaut d'être
classé patrimoine de l’humanité. C'est un crime, il n'y
a pas d'autres mots pour exprimer la négligence de ce site unique au
monde. Le cœur gros, nous quittons Ghouffi pour M'chounèche et
en cours de route Rachid laisse éclater sa rancoeur contre tous ces
officiels, ces politicards qui ne viennent que pour chercher la légitimité.
“C'est la même politique depuis Rome : appauvrir et laisser mourir”,
lâche-t-il. “On ne peut éternellement continuer à
être un distributeur automatique de légitimité !”
“Pas de journal, pas de radio, pas de routes, pas d'aéroport.
Il fallait garder les Aurès dans l'enclavenent, la pauvreté
et l'ignorance. À propos de l'aéroport, celui de Batna est le
seul au monde où l'on a mis plus de temps dans l'appellation que dans
la construction !” Les anciens moudjahidine et la clientèle habituelle
du régime ont en effet jeté tout leur poids pour que l'aéroport
de Batna ne s'appelle pas Imadghassen du nom du mausolée berbère
se trouvant à une quarantaine de kilomètres de la ville. “Cette
politique de changement de noms et de déberbérisation ne date
pas d'aujourd'hui : on a tout fait pour que Ighzer Amellal devienne Oued Labiod”,
ajoute Rachid.
Ce pays est tombé
sur la tête
L'homme a gardé des bleus dans l'âme et des cicatrices un peu
plus apparentes. Un jour, il a reçu une visite nocturne. L'inconnu
qui a frappé à sa porte lui a asséné un coup de
bâton qui lui a cassé la clavicule net et un coup de tournevis
dans le corps. “Si tu veux la démocratie, va chez les Kabyles
!” lui lance-t-il avant de s'enfuir à toutes jambes en le laissant
là mourant sur le pas de sa porte. Aujourd'hui, pour témoigner,
il écrit un livre témoignage qui porte le titre de Aurès
bâillonné muselé mais depuis l'épisode de l'agression
dont il a fait l'objet une petite bombe lacrymogène l'accompagne partout
où il se déplace. Sur la route la voix de Joe le rebelle et
celle de Amirouche l'enfant du pays nous accompagnent. Elles conviennent bien
à ces immensités ocres et rocailleuses qui les ont vu naître.
Nous arrivons à Thadarth n'Teslith, petit village où l'on raconte
encore la légende de la fille qui se serait suicidée en se jetant
du haut d'un rocher car on voulait lui faire épouser un riche inconnu
au lieu de celui qu'elle aimait. Tout en ayant une pensée émue
à cette pauvre martyre, nous traversons sans nous arrêter Ighzer
n'Ouzeggagh transformé en Oued Lehmar et puis Baniane, le village natal
de Dihya la chanteuse pionnière de la chanson moderne d'expression
chaoui avant d'arriver à M'chounèche, Timessounine en berbère
et qui a été longtemps considérée comme la capitale
de la contestation chaoui avant que T’kout ne lui ravisse la place.
Il y a exactement vingt ans que je n'ai pas mis les pieds à Timessounine
et je ne la reconnais plus tellement, elle a changé. Des immeubles
ont poussé et les maisons de parpaings et de ciment ont presque fini
de manger les authentiques maisons traditionnelles avec leur couleur si caractéristique.
Celles-ci ne subsistent plus que dans quelques îlots épargnés
quand elles ne tombent pas complètement en ruine.
La langue, heureusement, n'a pas changé. Ici on parle un chaoui pur
et dur. Comme pour le reste des Aurès, les atouts pour le développement
du tourisme existent mais ne sont pas exploités. Avec la grande paImeraie
qu'elle possède, ses vieilles maisons typiques et l'Akhenak, les merveilleuses
gorges longues de plusieurs kilomètres où coule Ighzer Amellal,
il y a de quoi attirer les tours operators les plus exigeants mais en l'absence
d'une politique touristique, on n'est pas près de voir l'ombre d'un
touriste dans le coin. “Satané pétrole !” dit Rachid,
“sans lui on n'aurait jamais laissé notre pays partir comme ça
à vau-l’eau !” Nous cherchons longtemps Mihoub, le chanteur
natif du village pour un petit entretien et nous finissons par perdre sa trace
parmi les palmiers.
C'est aussi l'occasion pour nous de rencontrer quelques “anciens combattants”
du mouvement berbère pour un brin de causette. Nous quittons enfin
M'chounèche-Timessounine, le village natal de Si L'houès le
héros de la guerre de Libération nationale pour Biskra non sans
avoir jeté un coup d'œil sur le lac formé par le barrage
de Imi n'El Guerzal arabisé en Foum El-Ghezal où l'on vient
pêcher en famille. Un autre rendez-vous manqué par le tourisme
national. Nous rentrons sur Batna, la tête pleine d'images toutes aussi
sublimes les unes que les autres. Le mot de la fin, c'est bien sûr Rachid
qui l'aura. “Et voilà, tu viens de faire le tour des Aurès
et tu as vu les Chaouis. Des gens à qui on a tout enlevé.”
L'ami Rachid a tout à fait raison. On a tout enlevé aux Chaouis.
Tout, sauf une chose essentielle : la fierté.
D. A.
PORTRAIT
Fattah, l’Abrika des Chaouis
À T’kout, son village natal, c'est la cheville ouvrière
du mouvement citoyen. Fattah incarne à lui seuI les archs. Si vous
le rencontrez, ne vous fiez pas trop à son aIlure de jeune lycéen.
Il a tout juste 22 ans, mais un culot de tous les diables. Pour donner une
idée de l'ascendant qu’il a pris sur les jeunes du village, on
nous a narré cette petite anecdote révélatrice. Un jour,
dans un café, le maire et le chef de daïra, rentrés prendre
une consommation, n’ont pas été servis. Ils ont attendu
longuement les bras baIlants avant de sortir tête basse et queue entre
les jambes. Fattah avait refusé qu'on les serve. D'un signe de tête.
Son modèle c’est Abrika. Et il ne l'a pas cherché bien
loin, c'est l’ami intime de son frère Tahar mort d’un cancer
en 96.
Depuis, Le barbu de Tizi vient régulièrement en pèlerinage
sur la tombe de son ami Tahar, mais ce que beaucoup de gens ignorent est que
Belaïd est lui-même membre fondateur du MCA, l’équivalent
dans les Aurès du MCB kabyle.
Dans la chambre de Fattah, plusieurs portraits ornent les murs. Côte
à côte, il y a là Matoub, le défunt Tahar, Abrika
et un autre barbu notoire qui porte le nom de Che Guevara.
“L'islamisme n’a jamais pris racine ici, nous explique Fattah.
Là où le berbérisme existe, l’islamisme s'efface.”
Un constat qui ne manque pas de pertinence. “Les pouvoiristes —
entendre par là les gens qui sont pour et avec le pouvoir — ont
également perdu le terrain ici. Ils passent en rasant les murs.”
lI y a quelque temps, les archs des vieux sont rentrés en conflit avec
les archs des jeunes. Fattah nous explique que les vieux ont essayé
de dicter leurs lois. Interdit de fermer l'APC, interdit de fermer les routes,
interdit de faire des émeutes... Les jeunes ont bien entendu réagi
: il est interdit d'interdire. Fattah Achoura, en fait, ne fait que prolonger
le combat de son frère en le portant plus loin, mais, et nous l’avons
constaté sur le terrain, dans les Aurès comme en Kabylie, il
n’y a pas de jonction entre l'ancienne et la nouvelle génération
de militants de la cause amazigh. Ceux des années 1970-1980 ont pris
de l'âge et des responsabilités. lIs ont un boulot, une famille
à charge et des enfants à élever, ce qui ne leur laisse
plus le temps de militer. lIs sont donc sagement rentrés dans les rangs
et ont assisté médusés à l'émergence d’une
nouvelle vague de militants qui n'hésitent pas, au besoin, à
défier des gendarmes surarmés. Les jeunes qui arrivent sont
plus frais, plus durs et plus exigeants. lIs ont pour modèles Matoub
et Abrika. C'est le cas de Fattah, l’Abrika des Aurès.
In liberte
du 11/1/2003
http://www.liberte-algerie.com
“Anna
Greki, vêtue de peau fraternelle”
Par Nassira Belloula
L’expression poétique est l’une des voies les plus empruntées par les femmes en Algérie.
Née
dans un contexte difficile, celui de l’oppression traditionnelle qui les
a confinées dans un monde clos, puis par l’oppression coloniale,
cette écriture s’est révélée être une
arme qui fit de la poésie une voix opportune pour réclamer justice.
Empruntée par des voix qui vont s’affirmer dans le paysage littéraire
algérien, cette première poésie se dévoile comme
une interrogation, une quête identitaire, une affirmation de soi.
Et parmi ces voix, rebelles, imposantes et révoltées, celles de
Jean Amrouche, Jean Sénac, Aba Nourredine, Bachir Hadj Ali mais aussi
Anna Gréki, lesquels sont les précurseurs de cette écriture
originelle, solitaire qui s’est manifestée à une époque
où le contexte socioculturel rendait difficile la prise de parole dans
une Algérie colonisée. Et l’un des poètes majeurs
de cette Algérie, Anna Gréki qui consacra dans une écriture
sensible et affranchie le plus bel hommage à son pays natal dans Algérie,
capitale Alger paru en 1963 et Temps forts, Présence africaine en 1966.
Son décès tragique suite à une hémorragie due à
des couches, le 6 janvier à Alger, mit fin à une parole exigeante.
D’origine française et de son vrai nom Colette Anna Grégoire,
elle est née à Batna dans les Aurès, le 14 mars 1931. Mais,
c’est à Menaâ dans la localité d’Arris qu’elle
passa son enfance.
“Mon enfance et les délices
Naquirent là
à Menaâ, commune mixte d’Arris.
Et mes passions après vingt ans
sont le fruit de leurs prédilections
Du temps où les oiseaux tombés des nids
Tombaient aussi des mains de Nedjaï
Jusqu'au fond de mes yeux chaouïa”.
Tout comme Assia Djebbar et plusieurs autres plus tard, la poétesse,
choisit pour investir l’univers de l’écriture, un pseudonyme
: Anna Gréki, cette dernière ne l’a pas choisi au hasard,
Gréki est une symbiose entre son vrai nom Grégoire et celui de
son mari Melki. Ce pseudonyme est pour elle une sorte de voile inspiré,
susceptible de la soustraire de ses propres incertitudes, car voix de femme,
rebelle, née dans une région difficile, affichant un engagement
politique, usant d’un verbe engagé.
“Colère devant l'enfant courant devant la guerre
Jusqu'aux frontières
Depuis sept ans sans s'arrêter
S'il ne se couche dans la terre”
Anna Gréki a chanté avant tout sa terre natale, le courage
des femmes chaouies, leur lutte quotidienne, leur engagement pour la cause,
cette lutte acharnée contre le colonialisme. Anna Gréki, qui adopta
la nationalité algérienne, interrompit ses études pour
s’engager dans la résistance, elle est arrêtée et
emprisonnée à Barberousse en 1957 puis expulsée d'Algérie
fin 1958 vers la Tunisie, elle regagne Alger à l’indépendance.
N. B
BATNA
/ Diana, une ville antique
Peu de régions de l’Algérie possèdent un aussi riche patrimoine historique des richesses archéologiques, des trésors artistiques et antiques suscitant l’émotion, charmant l’œil et subjuguant le cœur que la capitale des Aurès. Elle était le point de rencontre de plusieurs civilisations et beaucoup de peuples y ont laissé des traces et vestiges, des chefs-d’œuvre et des sites archéologiques.
Malheureusement, ce patrimoine est en souffrance et est menacé de disparition. L’exemple est bien incarné par les ruines de la ville de Diana Veteranorum (Zana El Beïda), une «municipe» antique. A 32 km à l’ouest du chef-lieu de la wilaya de Batna, se trouvent les ruines romaines de Zana El Beïda, dans l’antiquité Diana Veteranorum, fondée par des vétérans de la troisième légion Augusta. Ces ruines couvraient autrefois un vaste espace, d’environ 15 ha, dans une plaine légèrement ondulée, à proximité d’un ancien marais qui a dû être drainé par les anciens. Le territoire de la commune de Diana Veteranorum, qualifié de municipe, s’étendait à l’ouest, au moins jusque dans le voisinage de Henchir Tifeloine, vers le sud-ouest, jusqu’au Chott El Beïda, vers l’est, jusqu'au nord-est de Seriana, vers le nord, certainement jusqu’à Henchir Ouesfane, et très probablement jusqu’à Henchir Boutermatène. Ce territoire s’est depuis rétréci et beaucoup d’édifices de la ville antique ont disparu sous les remaniements et à la suite des actes d’iconoclastes et des actions de malveillance. Même les vestiges, qui ont échappé aux effets du temps, sont continuellement sujets à des dépravations et à des dégradations continues par manque de préservations et de restauration. De belles œuvres antiques ont disparu l’indifférence des responsables. Il ne reste de cette commune richement construite que deux arcs de triomphe (mélange de l’école de Rome) : le premier est un arc à une baie, se dressant dans le voisinage immédiat du forum, dédié en 165 à Marc Aurèle et à Lucius Verus, et l’autre, à trois baies, construit sous l’empereur Macrin en l’an 217 de notre ère. Ces deux arcs résistent aux effets destructeurs de la nature. Rien ne reste du forum, voire de la forteresse byzantine, et des vestiges de l’aqueduc en blocage amenant l’eau de la source de Aïn Soltane, des pressoirs, des vestiges de citernes, de puits, des quelques fragments architecturaux d’un certain temple que mentionnent les manuels ! Il reste beaucoup plus que des pierreries, quelques infimes fragments de la poterie et peut-être beaucoup d’antiquités ensevelies. Même cette porte monumentale, qui précédait jadis un temple de Diane, a disparu. Une situation d’indigence : des ruines jonchées de pierreries et chaque jour qui passe ensevelit un monument, une pierre, un pan de cette civilisation, de ce site archéologique sans que le conservatoire des monuments archéologiques réagisse. Dommage ! On n’a pas su tirer profit de ce qui aurait pu être un grand atout touristique, et ainsi on a laissé échapper des occasions en or d’enrichir notre capital financier et culturel. Qu’attend-on pour préserver et restaurer ces sites archéologiques dont les Aurès foisonnent pour aider au développement de cette grande industrie qui est le tourisme et dont l’apport sera bénéfique pour ressourcer l’économie de la région et créer, par-là même occasion, de l’emploi aux jeunes que le chômage broie ? A moins que les intentions soient autres et que l’on ne veuille pas du bien à sa propre région !
Par B. B.
On assiste ces derniers temps, dans la wilaya de Batna, à un phénomène nouveau : l’apparition de jeunes femmes écrivains qui tentent de proposer aux enfants quelque chose de «différent».
Leurs publications sont parfois au stade embryonnaire. Ce sont les marginaux de l’édition pour enfants qui, difficilement, tentent de faire des livres «différents» — et qui, souvent, y réussissent. De cette ribambelle d’écrivaines pour enfants qui ont pris la plume pour meubler le vide émerge Fatima-Zohra Chikhi , qui nous a été présentée à la journée internationale de la Douane organisée à la maison de la culture de Batna. Fatima-Zohra, animatrice de colonies de vacances d’été et chargée de la bibliothèque de l’école des Douanes de la ville de Batna, s’est vu embarquer dans ce monde de l’écriture grâce à sa fréquentation des enfants et des livres. Prise par «le virus de l’écriture», elle publie ses deux premiers contes l’Histoire de l’enseignante Nour et Les règles du jeu, tous deux illustrés par son amie Amel Yahiaoui. Alors que d’autres attendent de voir le jour, selon les termes de leur auteur. Ces premiers livres pour enfants répondent aux préoccupations quotidiennes de l’enfant. Ce sont des livres didactiques, dans un but d’éducation morale. On y trouve des leçons de comportement sous une forme supposée enfantine. On met en scène un enfant avec sa maîtresse, avec sa poupée. L’enfant sert de «modèle» qui devrait être imité. Ces contes nous sortent de la littérature de fables ou de contes de fées qui font appel au merveilleux et qui ne sont pas seulement moralisants, mais aussi traumatisants. Loin de contes de fées charriant la peur, l’horreur et la violence dont on craint qu’ils «traumatisent» l’enfant, elle propose des textes de didactique, d’apprentissage, d’éducation morale, d’identité nationale… Son effort est de «pédagogiser» ses histoires. Faire installer une culture nationale qui, même primitive, pourrait être opposée au modèle antique alors prédominant. Raconter des histoires vraies, avec des modèles «sublimes». Des livres d’apprentissage où l’on apprend à vivre, à faire, à être… Fatima-Zohra se dit prête à côtoyer ce monde des enfants pour bien le connaître afin de répondre à ses attentes, à ses désirs. A ce sujet, elle confie : «Je voudrais faire des livres avec des dessins et des textes d’enfants, leur (les enfants) donner la possibilité de rêver et de se déterminer comme ils l’entendent.» Le livre permet à l’enfant non seulement d’enrichir et de fertiliser son esprit, mais aussi de s’évader par le rêve, de vivre son idéal, «son monde parfait». Des initiatives à encourager.
Par B. B.
Khenchela
:
Le
correspondant d’Akher Saâ mis sous contrôle judiciaire
Le correspondant d’Akher Saâ à Chechar, au sud de Khenchela, Belhouchet Amrane, après une garde à vue d’une journée au niveau du commissariat de Chechar, a été présenté au procureur de la République qui a transmis le dossier vers le juge d’instruction qui a finalement placé le concerné sous contrôle judiciaire en compagnie de cinq autres jeunes, accusés d’incitation aux troubles à l’ordre public.
Sa disparition, une journée durant, avec le refus de communication de la part du chef de la sûreté de la daïra concernée ont installé un climat de tension parmi plusieurs confrères. L’autre correspondant d’Akher Saâ à Khenchela devait, lui, se présenter au tribunal de Khenchela, lundi dernier, pour une affaire de diffamation reportée pour le 18 novembre. Un autre confrère devait aussi être jugé, le lundi, suite à une affaire de diffamation au tribunal de Khenchela où il avait travaillé toute sa vie en tant que greffier en chef, le regretté Bachir Hakkar, le doyen des correspondants et qui travaillait à El Acil, était entre-temps décédé.
Par A. Maâchi
Cette période a été survolée dune manière incompréhensible. Y a-t-il eu des pressions quelque part ? Où est passé Kocila ? Des saynètes étoffent chacune des époques, où le tragique le dispute parfois au burlesque. Ce dernier sera joué par les deys et les beys (celui de Constantine) et leurs percepteurs turcs, qui ont affamé les populations autochtones. Le courage de le dire est à saluer. Le burlesque est également atteint par les caïds et autres harkis, sous-estimant la volonté dun peuple de se libérer du joug du colonialisme français. Lon sattardera sur cette époque : en 1894, le soulèvement de Oujarallah, de Amor-ou-Moussa, celui de Benzelmat, de Bouchareb... Puis la guerre de Libération, Ben Boulaïd, etc. Bien que la direction des comédiens soit maîtrisée, la chorégraphie gagnerait à être moins brutale, violente, plus suggestive, la danse plus gracieuse. Nest-elle pas la parole, lexpression du corps ? Mais qui a parlé de corps ? Les danseuses portent, sous des costumes bien faits, des pantalons, des collants... ayant la couleur de la peau ! La musique ou les différentes partitions musicales ont sauvé la «mise», ont fait oublier les autres défaillances. La beauté de la musique et celle du texte en chiîr el Melhoun, auxquelles à chaque fois le public a répondu en applaudissant, laissent deviner quil y a eu une recherche assez poussée de la part de lauteur, Salim Souhali. De fait, à chaque époque correspondent une musique et un rythme qui lui collent comme un gant. Ainsi, par exemple, la première composition accompagnant la danse des clans, période précédant celle des tribus, est une musique futuriste étoffée du merveilleux son de la gasba. Lépoque des Vandales est illustrée par une musique carrément celtique, celle musulmane par des gammes orientales. Mais les chants longs chaouis, les complaintes ont galvanisé lassistance ! Tant il est vrai que lon se reconnaît sans coup férir dans lauthenticité, quon le ressent vite fait. Le conteur pourrait facilement se passer du play-back.
Par A. Boumaza